La
dégustation de ce grand vin rouge d'Alentejo fut un moment attendu
depuis longtemps. La carte des vins du restaurant Capelo à Santa
Luzia présente anonymement une ligne où il est écrit Mouchão
dans la page des vinhos tintos (vins rouges). Ce nom
barré mais jamais enlevé m'intrigue depuis longtemps. Un collègue
qui officiait naguère en Alentejo dans la vigne et ses dérivés,
grand amateur et connaisseur hors pair des breuvages de Bacchus
en ces lieux, me précisa un jour que ce vin était un sommet
de qualité dans cette appellation.
Notre insistance auprès d'António au Capelo
pour dénicher une bouteille dans les coins obscurs de la cave a
trouvé enfin son aboutissement ce dernier samedi. António
nous avait affirmé que lors de notre prochaine visite, la bouteille
serait prête si on prévenait la veille car, paraît-il, la cave se
trouve si loin et le Mouchão doit se préparer longuement
à cette apogée.
La table
était donc réservée la veille, sur la terrasse, à 10 mètres de l'eau,
pour profiter de la fraîcheur du soir. Et, à notre arrivée, la bouteille
était bien prête, déjà débouchée et jalousement préservée des regards.
Herdade do Mouchão est une vieille maison tenue par
une famille d'origine anglaise depuis plus d'un siècle. C'est le
dernier domaine en Alentejo à utiliser le foulage des grappes de
raisins non égrappées. Les vins sont passés dans des fûts de chêne
et de châtaignier durant plusieurs années avant la mise en bouteille.
Les cépages utilisés sont : Alicante Bouschet, Trincadeira, Moreto,
Aragonez et Periquita avec une dominance du premier.
Ces vins rouges de couleur très profonde ont un tanin marqué
dans leur jeunesse. Mais son caractère devient doux par la suite,
souvent marqué par un léger arôme fruité (c'est le cas du 1990 dégusté
ce soir-là) ou une note animale suivant les années. Les tanins adoucis
restent toujours présents sans jamais rendre le vin dur.
Est-ce la prédominance du cépage Alicante Bouschet
qui, avec des tanins non fondus totalement, laissaient une impression
persistante de senteurs du maquis, un soir de fin d'été alors que
le ciste et le rosmaninho ont perdu leur verdeur ? Je n'en
connais pas la réponse, les cépages de l'Alentejo sont encore pour
moi une matière nouvelle, quoique...
Le Mouchão n'est pas un vin d'été, un soir de retour
de chasse lui sied mieux mais je ne suis pas chasseur. Un tel bijou
de rareté ne pouvait s'échapper vers d'autres destinées ce soir-là.
Car le Mouchão est rare, il n'y a pas de production
depuis quelques années, les mauvaises humeurs climatiques
interdisent sa naissance. La maison produit alors un second
vin : Dom Rafael. Il m'en coûta 8000 escudos (40 euros),
à peine plus cher que son prix de détail; c'est à boire au
moins une fois dans sa vie portugaise, même à ce prix.
Cette
dégustation a eu l'air d'amuser toute l'équipe du Capelo.
Mr Capelo lui-même sortit de son antre vers les onze
heures avec une faim manifestement tenace. A la table voisine,
le couple de touristes anglais, très intrigués, regardèrent
leur demi bouteille de vin de table avec un certain dépit
puis s'en allèrent.
Des amis de la maison nous gratifièrent ensuite d'une
fin de soirée toute en chansons. Encore
un moment inoubliable.
Mon collègue n'était pas là ce soir, mais il continuera
à me donner en d'autres occasions moultes informations sur ces vins
d'Alentejo et sur cette région qui, je sais, compte beaucoup pour
lui, comme je le comprends !
Mais que veut dire mouchão ? En français :
javeau, c'est à dire une petite île d'alluvions dans une rivière,
allez savoir pourquoi ce vin porte ce nom ! Je le saurai le
jour où je visiterai la cave... Herdade do Mouchão,
Casa Branca, P-7470 Sousel, Alentejo, Portugal. Tel
+351 268 539228, Fax 539293.
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