Nous
sommes à São Pedro de Sólis, petit village calme
mais bien vivant, un peu à l'écart de la petite route qui
mène de Dogueno vers l'est, vers Mértola.
J'y suis passé la première fois un dimanche de Pâques il
y a déjà quelques années. A l'époque, mon portugais ne me
permît pas d'engager la conversation avec les habitants.
Cette fois, en avril dernier, c'est la passion, de celle
qui m'accompagne, pour la laine qui nous y amena, juste
avant d'aller rendre visite à mon moulin
préféré, un peu plus au sud.
C'est
déjà l'Alentejo et son horizontalité qui s'ouvre à la sortie
de Dogueno, sur la route de Santa Cruz. Un
vent devenu léger caresse et ondule le grand espace, bien
vert à cette saison, et tente de pousser vers l'Andalousie
des nuages tourmentés jusqu'à l'orage, ceux-là
même qui venaient d'arroser froidement la
serra.
La
paix et le silence se sont maintenant réinstallés dans ce
paysage de cistes, de terres incultes et de champs cultivés
(estevais, pousios e alqueives), que d'aucuns trouvent
monotone ou soporifique.
Tous
les sens en éveil, vous arrêtez votre course et l'Alentejo
se découvrira pudiquement, peu à peu, au fil du temps et
des rencontres. Et l'âme de ce pays s'installera dans votre
cœur, si vous êtes réceptif.
Mais,
il faut s'en souvenir à chaque instant, la quiétude présente
cache les plaies d'un passé misérable, le regard et le pas
des anciens ne trompent pas.
Grand
sujet de polémique, la forêt va s'installer ici, de larges
sillons préparent une plantation effrénée de pins jusqu'à
l'horizon. Au village, je questionne une jeune dame qui
assure la permanence à la Junta de freguesia, bureau
local de la municipalité intégrée au concelho de
Mértola. Où puis-je rencontrer les deux tisserandes
dont j'ai entendu parler ? La plus proche habite juste à
côté et travaille en ce moment dans son atelier.
Quelques produits agricoles et ménagers
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Le contact
se fait très facilement, Vitorina Maria est ravie
et toute étonnée d'avoir de la visite de si loin. Son atelier
est très sobre et sert également de petit magasin pour quelques
produits agricoles et ménagers. La fileuse est en action
tandis qu'une pièce se prépare sur l'antique métier à tisser.
Avec
ma compagne d'alors, elle part dans une longue discussion
de tisserandes. Vitorina Maria nous présente de beaux
manteaux tissés, du travail de crochet et nous parle de
la laine de son pays. Pas de fantaisie, tout est d'origine
locale, les moutons, de race Campaniça, une variante
du Mérinos d'origine espagnole, fournissent une laine
de haute qualité due à la finesse des fibres.
Pas
de teinture, la laine brute de couleur (écru ou brun foncé)
est filée pour le tissage ou le crochet, qui sont sa spécialité.
Ce sont les brebis de la même race qui donnent le lait pour
les fameux fromages de la région (queijo de ovelha)
tel le Serpa.
Le métier à tisser de Vitorina Maria
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Vitorina Maria
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La fileuse
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Le clocher abrite un nid de cigognes
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Vitorina
Maria nous indique du doigt où on pourra trouver sa collègue
Maria Teresa, de l'autre côté du village. Mais auparavant,
nous dénichons la piste qui conduit vers l'église, isolée
sur une butte à un kilomètre.
Mélangeant
les styles manuélins et gothique, ses 200 années lui ont
donné droit à une restauration. L'intérieur dépouillé et
propret abrite des bancs en bois entre un plancher et un
plafond tout de bois également.
Le
clocher abrite un nid de cigogne blanche bien vivant dont
le locataire nous gratifiera d'un long vol circulaire de
surveillance durant tout le temps de notre présence. Le
ciel s'est assombri de nouveau vers l'ouest, vers l'océan,
signe d'une prochaine bourrasque.
Maria Teresa en pleine explication
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L'atelier
de Maria Teresa est encore plus étroit. Elle tient
son métier à tisser de sa mère qui elle-même… Elle pense
qu'il est aussi âgé que l'église. Le tissage était une grand
tradition en Alentejo, elles sont encore quelques-unes à
persévérer avec ces outils antiques.
Tandis
que son mari, dans le même local, fait office de coiffeur
ce jour-là, elle est à l'ouvrage sur une pièce de couleur
naturelle et décorée de motifs traditionnels auxquels elle
initie ma compagne.
Le
lin, comme le coton, est une de ses spécialités. Elle mettra
presque une semaine pour tisser un napperon comme elle nous
en présente un devant sa maisonnée, pour un prix de 5000
escudos à la vente directe. Elle nous fait entrer pour nous
montrer son autre spécialité, des tapis de grosse laine
très colorés (teintures naturelles).
Maria nous présente ses ouvrages
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Toutes
les deux vendent leurs réalisations sur les foires de la
région, à Mértola, à Loulé ou ailleurs. Dans ce hameau presque
hors du temps, une vie simple se déroule, je n'y ai pas
ressenti le moindre ennui, les potagers sont pleins.
Le
mari de
Maria Teresa est content et on sent poindre la fierté
de pouvoir vivre dans son village; il a travaillé naguère
en France du côté de Dijon et il en est revenu.
Au
printemps prochain, j'irai leur rendre de nouveau visite,
puis je me poserai une heure devant la petite
chapelle blanche et bleue de Montes
Santana qui n'est pas bien loin. En montant sur
la colline, j'apercevrai un point très blanc, vers le sud,
de l'autre côté de la ribeira do Vascão, déjà en
Algarve, mon moulin.
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