Emerveillés et revigorés, vous serez. C'est le plein été, depuis quelques jours, le vent qui vient d'Espagne chauffe à blanc toute la région. Dès l'aube, le soleil brûle votre énergie. Votre quête du froid absolu commence. A la nuit, la fraîcheur du vent marin se dérobe sous le souffle de la foule qui grouille sur les plages entre Lagos et Monte Gordo. Une obsession vous gagne rapidement, il semble impossible d'échapper à cette fournaise.

On vous a bien parlé d'un coin où tout va mieux, là-bas à l'ouest, tout à la fin des terres, du côté de Sagres. Mais il faut y aller, c'est si loin par cette chaleur et Sagres, ce n'est encore pour vous que la marque de la bière que vous avalez sans cesse dans ce pays de la soif…

Le lendemain, vous ne tenez plus, vous avez rassemblé vos dernières forces pour vous engager sur ce ruban de bitume qui joue la sublimation. Lagos est votre premier point de mire, plus loin, le bonheur, la fraîcheur, progressivement. Faro est derrière vous, les villes s'égrènent sur la EN 125, Lagoa est en vue, reste Portimão et enfin Lagos.

Direction Sagres sur la nouvelle route qui glisse sur un paysage qui change rapidement. Les arbres se raréfient, l'espace s'ouvre, vous tentez une ouverture de fenêtre mais, dehors, rien de bien perceptible. L'impatience gagne, vous forcez l'allure. Et si ce n'était qu'un mensonge, avoir épuisé ses dernières forces pour un ou deux degrés en moins ! Vous pestez sur tout le pays, on ne vous y reprendra plus mais en attendant que fait-on ?

Découragé, vous vous arrêtez au bord du chemin. Mais où êtes vous donc à vouloir filer ainsi vers l'ouest, poursuivi par une vague de chaleur qui va encore vous rattraper. Un panneau vous indique Burgau vers la gauche. Machinalement, vous sortez de votre véhicule. Un air un peu frais passe et repasse. L'espérance gagne l'esprit, vous repartez lentement comme pour ne pas déranger l'atmosphère. A chaque colline, un degré s'évapore, Vila do Bispo au loin annonce le bout de l'ouest.

Dix degrés sont partis et les forces reviennent. Où donc finit cette terre ? Un coup d'œil sur la carte vous apprend que c'est le Cap Saint Vincent qui finit cette terre, en passant par Sagres. Ce que vous connaissez de l'histoire de ce pays vous revient à l'esprit, votre quête de la fraîcheur vous a donc amené vers des lieux mythiques.

C'est là que tout commence… Le vent du nord se fait sentir de plus belle, le paysage nu et plat est posé sur la mer, la végétation rabougrie élargit l'horizon. Sagres enfin, qu'on ne voit pas vraiment en arrivant sinon qu'une urbanisation posée sur la falaise. Un panneau vous indique Cabo de São Vicente vers la droite. Une dernière ligne presque droite vous amène au point extrême sud-ouest de l'Europe en quelques kilomètres. Le phare se laisse découvrir derrière un mur de voitures et de cars. Vous ne serez donc pas seul dans ce bout du monde. Ça vous apprendra à vouloir découvrir l'Algarve en été.

Enfin, pour cette première fois, ça ira. A peine le moteur arrêté, on vous invite à découvrir les étals de vêtements en laine. Pas vraiment le moment de se couvrir de pure laine du pays, quoique le vent s'est encore renforcé. Vous vous frayez un passage jusqu'à l'extrémité, à droite, au pied du phare (farol), c'est pour ça que vous êtes venu ! Forcément, avec tout ce monde qui se bouscule, le mythe du lieu ne se ressent que gentiment. Vous vous promettez de revenir plus tard, hors saison, hors foule, à la tombée de la nuit par exemple, quand la gigantesque lentille du phare troue l'insondable de sa lumière. Ou alors quand la corne de brume vibre par temps de brume épaisse, en automne.

Un peu à l'écart, vous resterez longtemps à sonder l'histoire des lieux, à suivre le jeu des mouettes et des longues vagues du bleu le plus profond, à perdre votre regard dans l'horizon. Un coup de vent frais bien placé vous décidera finalement à repartir avec un pull en laine qu'on vous propose à côté.

Vous reviendrez aussi au printemps quand la végétation naine explose de couleurs, en remarquant cette variété locale de Cistus ladanifer à la fleur toute blanche sans les macules habituelles et au port plus ou moins rabougri quand on s'approche de la mer.

En regardant vers l'est, Sagres se rappellera à votre mémoire par sa forteresse (fortaleza) qui pointe vers le sud sur un grand promontoire. C'est véritablement là que l'on touche le mythe de ce bout de continent. C'est le lieu de la Escola de Sagres, école de navigation créée par Henri le Navigateur (Infante D. Henrique, o navegador), point de départ de la conquête du Nouveau Monde et des côtes africaines. La forteresse a été partiellement détruite à plusieurs reprises, par Drake et par le tremblement de terre de 1755.

Plusieurs restaurations successives sont intervenues dont la plus récente, qui a vu s'édifier des bâtiments modernes qui abrite un poste de tourisme et une salle d'information sur la région. Une tempête de protestations s'est levée face à l'aménagement d'un grand parking frontal. Passé le porche d'entrée, on peut suivre à pied, de l'autre côté, un sentier longeant la haute falaise où les pêcheurs à la ligne rivalisent d'audace et d'où l'on peut admirer au loin le Cap Saint Vincent et les baies environnantes.