C'était
le deuxième jour. Je le passerais à m'acclimater
à ce nouveau pays. J’irais au bout du Continent
pour y regarder l'océan, là où
les hommes de la mer étaient partis, il y a bien
des siècles, ignorant si la terre est plate ou
ronde. Du Cabo de São Vicente, en regardant
vers l'horizon, il est bien difficile d’en être
sûr.
Mais
avant de prendre le large à partir du Cap, je
voulais rendre hommage à un vieil ami.
J'ai
vécu toute ma vie tête dans les nuages, cela fait de
moi une étourdie. C’est pourquoi je perds tout.
Dès ma tendre enfance, j’ai compris qu’un
allié était indispensable. Saint-Antoine,
le spécialiste de la récupération,
était tout indiqué. Au cours de ma vie,
j’ai donc beaucoup perdu mais encore, j’ai
beaucoup trouvé. En faisant les recherches pour
mon voyage, j’ai découvert que le bon saint
n’est pas Italien, comme pourrait le laisser croire
le suffixe «de Padoue», mais qu’il
est tout ce qu’il y a de plus Portugais, puisqu'il
est né à Lisbonne. Il est tellement Portugais
qu’il est le saint patron du Portugal. J’ai
également découvert que l’Igreja
de Santo António, à Lagos,
est classée monument national.
Statue de Dom Afonso Henrique à Lagos.
J'arrive
à Lagos tard dans la matinée et
je gare la voiture à côté de la
place où Dom Afonso Henrique (Henri le
Navigateur) trône sur son piédestal, entouré
d’un pavé de mosaïques ondulantes,
accueillant les visiteurs (souvent en provenance du
Nouveau Monde). En marchant, si vous regardez le sol,
cerveau comprenant que ce sont des vagues, il est possible
que vous gîtiez imperceptiblement. La sensation
n’est pas déplaisante, c’est un peu
comme marcher dans les déferlantes. Derrière
le Prince Henri, une église, mais ce n’est
pas l’Église de Saint-Antoine. Pour l’atteindre,
il faut pénétrer dans la ville, parcourir
les ruelles étroites où logent échoppes
et restaurants. Je tourne le coin et elle est là.
Pour
ceux d’entre vous qui aimez l’architecture,
le Portugal fascine. Son architecture passe des menhirs
sortant des fins fonds de l’humanité, aux
temples romains parfaitement conservés, entourés
d’un gothique flamboyant particulier, tout en symbolisme
obscur taillé dans la pierre, puis aux édifices
baroques, et ainsi de suite. Tout est juxtaposé,
souvent en harmonie parfaite, cimentée par une
tessiture mauresque d’azulejos et de formes.
Igreja de Santo António
Azulejarias
Un
ami m’informe qu’au cours des dernières
25 années, de grands efforts de restauration
ont été faits et que les résultats
sont de plus en plus évidents. À mon avis,
c’est parfait puisque le Portugal devrait être
un pais museu (comme plusieurs de ses régions
le sont déjà). Et je suis persuadée
que l’ingéniosité portugaise fera
en sorte que les avantages de la vie des années
2000 seront intégrés dans le paysage portugais
– géographique, culturel et historique –
sans pour autant renoncer à leur (et notre) héritage.
Une tâche délicate et difficile pour un
peuple qui a eu la vision, l’ingéniosité
et le courage de partir à la découverte
d’une si grande part du Nouveau Monde.
Ange
Après
avoir suivi un dédale de pièces qui témoignent
du passage du temps sur la côte de l’Algarve
et sur ses habitants, j’entre dans l’église.
Partout, des groupes d’élèves en
sortie culturelle et des visites guidées. Je
fais abstraction de la foule et je me concentre sur
l’architecture.
Un
fou rire monte en moi. Il y a des anges partout ! Des
milliers d’anges – au plafond, aux murs, aux
colonnes – tout est recouvert de ces hôtes
célestes. Une émeute d’anges ! Jamais
je n’en ai autant vu au même endroit !
Je
découvre ensuite la talha dorada (dorures),
rayon de soleil dans le crépuscule de l’église.
Tout autour, de beaux tableaux décrivant les
miracles de Saint-Antoine. Il semblerait qu’il
ait d’autres spécialités que les
Objets perdus. Puis je découvre les azulejos,
Harmonie parfaite du bleu et du blanc, et les azulejarias,
Poésie sur tuiles.
Igreja de Santo António
Après
m’être baignée un moment dans le bleu,
le blanc, le doré et m’être choisi
un ange qui m’accompagnera tout au long de ma découverte
du Portugal, je quitte l’église. J’ai
la forte impression que le Portugal se découvre
comme on visite un musée ou une église,
en tout respect.
Je
poursuis ma route jusqu’à Praia da Dona
Ana et je m’arrête à une terrasse
: tables sous les parasols, escalier en pierres jusqu’à
la petite plage en bas. À droite et à
gauche, de gros rochers roses flottant sur une mer de
turquoise. L’endroit est joli. Avant de déjeuner,
je descends les marches jusqu’à la plage.
C’est un rituel lorsque je suis sur un bord de
mer : il me faut ressentir l’eau tourbillonner
sur mes pieds. La mer est assez calme malgré
un léger vent. De gros nuages gris arrivent de
l’Afrique. Le temps est à la pluie.
Praia de Dona Ana.
Debout,
pieds dans l’océan, orteils se glissant
avec bonheur dans le sable, j’inspire de grandes
goulées d’air marin. Satisfaite, je laisse
l’eau tourbillonner gentiment autour de mes chevilles
lorsque, subitement, venant de nulle part, à
quelques pieds de mes pieds, une vague énorme
déferle sur moi, m’innondant jusqu’à
la taille.
Vêtements
collés à mes jambes, sac plein de sable,
je remonte, penaude, jusqu’à la terrasse,
un chat mouillé.
J’étais
prise. J’avais passé la commande pour le
déjeuner avant d’aller à la plage,
mon repas m’attendait. Le vent s’était
maintenant levé et la pluie tombait. À
la guerre comme à la guerre, le mal était
fait, je me suis donc assise pour déjeuner, sous
la pluie sur la terrasse, en ressassant l’expérience
et regardant les vagues déferler sur la plage.
Une
observation minutieuse m’a permis de conclure que
l’océan au Portugal (ou est-ce l’ange
?) a un trait de caractère surprenant, un sens
de l’humour excentrique et pernicieux, qui le mène
à jouer des mauvais tours aux touristes non avertis.
J’ai pris bonne note qu’il fallait se méfier
de l’océan au Portugal.
Sesimbra, vue du castelo
Une
année passe et me voici, une fois de plus, au
Portugal pour y hanter ses bords de mer. Cette fois-ci,
je suis à Sesimbra, au sud de Lisbonne.
Mon hôtel se trouve à quelques pas de la
plage. Doux murmure des vagues, je traverse la rue pour
gagner la plage dorée. Dans l’eau, tout
près et juste devant, un rocher, c’est l’endroit
idéal pour s’asseoir, pieds dans l’eau.
C’est
peut-être avril au Portugal, mais avril au Portugal
est comme juin au Québec. J’ai tout prévu,
maillot sous mes vêtements. Je les laisse, ainsi
que mon cellulaire, sur la plage, loin de l’eau,
puis je m’avance, eau aux genoux, jusqu’au
rocher. Assise sur la cîme, pieds dans l’eau,
je me détends, yeux aux aguets,
me méfiant des vagues aberrantes. En moins de
cinq minutes, je suis projetée violemment dans
l’eau, culbutée pêle-mêle dans
les déferlantes, avec fracas. À grand-peine,
je m’extirpe enfin de l’océan, complêtement
trempée (et trompée), pour me rendre jusqu’à
mes vêtements qui n’ont pas été
épargnés.
Je
terminerai en disant ceci : il ne faut, en aucun cas,
faire confiance à l’océan au Portugal.
Ne vous laissez pas prendre par ses airs de grand calme,
de vagues ondulantes car, sans crier gare, il vous prendra
au dépourvu.
J’ajouterai
un petit conseil : n’essayez pas d’échanger
un cellulaire, armée de candeur, à moins
de l’avoir auparavant vidé de tout résidu
de sable.
Chronique
Jardin & Cuisine
Tout au long d'une l'année, la vie d'un jardin
annoncé et son prolongement en cuisine à
Porto Covo, par Jean-Paul Brigand et Ann Kenny.