Sur
la route de Barrancos, en avril, j'arrivai au village
de Safara, presque banalement posé sur le
grand paysage ouvert. A cette croisée des chemins,
je me suis souvenu d'un reportage que j'avais suivi jadis
sur le barrage d'Alqueva en éternelle construction
à l'ouest de Moura, pas très loin de
là. Ce reportage insistait sur la déprime
de cette partie de l'Alentejo et sur le moral au plus bas
de ses habitants.
Une des grandes figures de Safara
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Fallait-il
passer mon chemin au plus vite pour me rendre vers Barrancos
et son Castelo de Noudar, but de la journée?
La curiosité me piquait quand la vue du clocher
de l'église me décida. Au pied de cette
église hors d'âge, un jardin frais et un
banc accueillant m'invitèrent à la pause
sous un soleil trop vaillant pour la saison. Une grande
goulée d'eau fraîche à la fontaine
me revigora pour prendre quelques photos des lieux.
Les
hommes plus ou moins âgés qui peuplaient le jardin
en cet après-midi dominical semblaient figés dans
une torpeur éternelle, était-ce donc la déprime
annoncée ?
Un
long moment indifférents à ma séance
de photos, l'un, puis l'autre remarquèrent mon
intérêt grandissant pour l'église.
"C'est que personne ne vient jamais nous voir"
me lança, hésitant, le plus jeune d'entre
eux. Son visage s'éclaira quand je lui répondis
dans sa langue. Aussitôt le jardin s'anima et sa
population du jardin décupla en quelques minutes.
Le
président de la Junta de freguesia m'invita
à photographier cette assemblée puis les
grandes figures du village qui, pour certains, restèrent
impassibles alors que d'autres s'écartèrent,
comme cet ancien pratiquant de la corrida à l'espagnole
pour s'enfuir à toutes jambes. "E a maneira
dele", c'est sa façon d'être, me
dit l'un d'eux pour me rassurer.
Une petite partie de l'assemblée
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La
vision immédiate de quelques photos numériques
provoqua de grands éclats de rires étonnés.
Ces instants effervescents ne font pas partie du lot de leur
quotidien mais j'étais loin de constater la déprime
annoncée. Je m'étais intéressé à
leur village et ils m'avaient accueilli de manière désintéressée
et joyeuse.
Sans
doute, ce fut là pour moi le meilleur moment de
cette journée, loin de l'accueil touristique avide
auquel on a le plus souvent droit au sud, sur le littoral
algarvien.
Avec
la promesse de leur envoyer les photos, je repris ma route loin
vers l'est, além do Alentejo.
Depuis,
j'y suis revenu. J'ai revu quelques uns de ces visages
de Safara, qui avaient tous encadré leur
photo chez eux. J'ai retrouvé aussi la nonchalance
indifférente de ces gens sur la place du village,
un après-midi d'un dimanche trop chaud. C'est peut-être
ça que les reporters pressés ont pris pour
de la déprime.
Le
ciel immense, l'horizon sans fin, l'aridité ont forgé
l'âme résistante des gens de ce pays. Ailleurs,
on veut dessiner leur futur mais qu'en sera-t-il vraiment ?
Talvez apenas o de ser o que sempre foi, peut-être
à peine être ce qu'il a toujours été.
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