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Octobre 2003. Voyage en Alentejo. Depuis la nordique
Miranda do Douro jusque Castelo Branco, nous
descendons vers l'Alentejo par la façade est du pays. Plongée
dans une grande foire rurale à Mogadouro avant de
faire étape dans un étrange oasis-hôtel (Alambique de
Ouro) à Fundão, au pied de la Serra da Estrela,
après avoir traversé un paysage granitique austère depuis
la vallée du Douro jusqu'à celle du Mondego
et la ville de Guarda.
La nouvelle autoestrada venant de Guarda
nous emmène rapidement vers le sud dès le matin suivant.
Après le battage estival enflammé des médias, nous nous
attendons à redécouvrir le pays tout en cendres. Nous savions
que la zone la plus touchée était la Beira Baixa.
Jusque Castelo Branco, rien, rien d'autre qu'une
ampleur habituelle. Le regard interroge l'horizon vers la
gauche, vers l'est, et la ville apparaît inchangée sur sa
colline. Il nous semble alors que toute la bande de territoire
longeant la frontière, de Sabugal, Penamacor jusqu'au
Parque Natural do Tejo Internacional avait été relativement
épargnée, sauf à Idanha.
Une fois passé Castelo Branco, un peu plus
au sud, le paysage s'ouvre vers l'ouest, jusqu'à la barre
montagneuse de la Serra de Alvelos. C'est là que
le désastre se dévoile brusquement, une immensité grise
et brune qui s'étend sur Oleiros, Sertã, Proença-a-Nova
et, plus bas, Mação. Nous quittons ensuite l'autoroute
pour traverser le Tage vers Portalegre et Gavião.
La région de Nisa et de la Serra de São Mamede
ont été très touchées elles aussi, nous le savions, et un
ami nous avait rapporté, en août, un témoignage poignant
provenant du nid d'aigle de Marvão,
cerné par les flammes et envahi de fumée et de cendres.
Le même endroit en mai 2004, en pleine planète
dévastée.
Les eucalyptus sont d'un sale jaune délavé mais
la vie y reprend ses droits, des bouquets de rameaux verts
et drus sont déjà installés. Nous bifurquons ensuite vers
Abrantes, jusque Gavião. Toute la végétation
environnante a été comme léchée par un grand vent de flammes,
laissant les arbres mi-verts, mi-roux, sauf les pins, toujours
plus sensibles. Nous pensons à Philippe
Martins dont c'est la terre d'origine et qui m'écrira
au retour :
"L'état des territoires que vous avez traversés
ne m'était pas totalement connu, car j'ignorais si le
Sud du Tage avait été touché (vers Ponte de Sôr).
Par contre, je savais que le canton de Gavião (70 % de
la surface boisée, et par conséquent les deux rives du
fleuve) était très touché, et pire encore en allant vers
le nord (Mação, Sertã, Oleiros...).
Vous avez fait un parcours qui vous a plu, mais je
vous invite à passer par Avis, Pavia et Arraiolos une
prochaine fois. Je trouve que c'est plus beau (et moins
désert) que du côté de Montargil qui sent déjà le Ribatejo
plat et maraîcher. En plus, ils refont la route... miracle
! Entre Ponte de Sôr et Cabeção, la forêt est superbe.
La mairie de Ponte de Sôr a mené un projet magnifique
(de pair avec plusieurs organisations et un certain fonds
européen) pour préserver la faune et flore de ces biotopes
qui auraient pu être malmenés par le sylviculture. Il
faut voir ça, avec panneaux explicatifs (clairs et bien
faits) sur site."
Juste avant Gavião, direction sud, vers Ponte
de Sôr, d'où on peut gagner le cœur de l'Alentejo
par Montargil et son barrage, ce que nous faisons,
réminiscence d'un ancien voyage, ou par Avis et Arraiolos.
Nous devons arriver sans tarder à Alcácer do Sal,
où Jean-Claude
nous attend impatiemment, depuis peu complètement immergé
dans sa Terre
Promise.
Nous venons de quitter la route d'Abrantes
depuis quelques minutes, la vie nous apparaît intacte, miraculeusement
épargnée. Les jardins et vergers regorgent de fleurs, de
fruits et de légumes, l'ambiance est presque bucolique.
Les premières mandarines de la saison sont exposées, comme
on le fait ici, le long des routes, en compagnie de tous
les trésors d'une vie rurale éternelle. Aucune flamme n'a
touché ces campagnes, dont l'équilibre paraît issu de temps
immémoriaux. On se sent bien, l'air est léger, le cœur est
soulagé, l'immense Alentejo nous attend et vous attend.
N'oublions pas qu'un peu à l'est, cependant, nous
ne le voyons pas de cette route, le feu s'était avancé
rudement vers le sud, du côté de Crato
et d'Alter do Chão.
Nous ne verrons plus de cendres de tout le séjour,
sauf quelques pans de collines brûlées de la Serra de
Cercal près de chez Jean-Paul
et Ann, chez qui nous sommes allés, à Porto Covo.
Quelques incendies de moyenne importance ont sévi
daans la moitié sud de l'Alentejo (Portel, Grândola,
Alcácer do Sal, Montemor-o-Novo, Arraiolos, Milfontes).
Le lendemain, dans le fond de l'horizon du sud, très loin,
sous une immensité bleue, la serra de Monchique reste
sombre, très sombre. Des amis nous rapportaient ceci il
y a quelque temps : "Hier nous avons traversé la serra
de Monchique, 40 km d'une obscure vieille lune froide,
parsemée de petites maisons blanches. Après l'étonnement,
la tristesse."
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