Ce
paysage harmonieux de montado résistera-t-il au futur
Alentejo ? Son ampleur recèle des terres si fatiguées qui
mériteraient bien dans l'avenir un développement équilibré,
au delà de la grande vague consumériste qui a déferlé sur
le pays depuis une dizaine d'années.
Pendant
ces années un peu folles qui s'essoufflent maintenant, alors
que la manne européenne va s'étioler prochainement, l'Alentejo
et d'autres de ces terres oubliées de l'est et du nord-est
du pays, restées en marge du tout développement, ont au
moins été assez préservées. Comme les villes et les villages
presque inchangés, ces paysages restent parmi les derniers
témoins essentiels d'une antique culture du sud de l'Europe.
La laideur qui pourrait s'installer ici n'a jamais rendu
personne heureux ailleurs et ne le ferait pas ici non plus.
D'autres
régions du pays, grisées par la rapide marche du progrès,
affichent une prospérité ostentatoire mais au vernis si
fragile et sortiront de cette période un peu sonnées, comme
défigurées. Le mal est souvent déjà fait,
comme en Algarve où certaines voix s'élèvent maintenant,
souhaitant un autre destin que celui massivement touristique
qui est le sien depuis tout ce temps.
En
Alentejo, comme dans les collines retirées de l'Algarve,
les choses se préparent à leur tour, les nouvelles routes
amènent le progrès et les nouveaux besoins et le nouvel
esclavage. Les aménagements en cours engloutissent l'âme,
les murs, les racines et les terres d'ici, étourdissent
certaines des autorités locales en reflétant par exemple
dans les nouvelles eaux du barrage d'Alqueva (barragem
do Alqueva) de brillants potentiels de tous ordres,
loisirs, agriculture, voire des industries propres.
On
ne peut pas, bien entendu, tenir éloigné du progrès ces
paysages, si c'est un vrai progrès. La démarche
n'est nullement passéiste. Va t'on considérer ou
utiliser tout cet espace à la manière d'une
grande cour de récréation que les citadins aisés et harassés
envahiront, durant leur temps de loisirs, en occupant fébrilement
leur monte acheté à prix déjà d'or, signant du même
coup la mort des lieux, au grand dam de ceux qui voudraient
vraiment s'y installer et y vivre à plein temps.
Y
aura-t-il parmi ce peuple, des voix assez fortes pour clamer
l'identité et l'âme d'ici, ne pas vouloir les tenir secrètes,
mais vouloir les montrer en exemple, dans une saudade
réinventée. Mais heureusement, tant que le pain d'ici aura
ce franc goût de blé et cette vraie simplicité, il restera
aux gens d'ici de quoi maintenir vivaces leurs racines et
leur identité…
Barragem
do Alqueva voir
cette carte
pour le localiser (retenue d'eau pleine)
entre Moura, Mourão Monsaraz et Alandroal
Voir
un documentaire (en
cliquant ici ou ci-dessous) superbe et explicite
conçu et réalisé par Paulo
Rosa sous la forme d'animations en Flash
dont, parmi d'autres informations :
-
la localisation du barrage d'Alqueva
- une simulation du remplissage de la retenue
L'auteur,
que je remercie, m'a donné l'autorisation de le reproduire
et l'inclure dans Alquimista.net :
"Estiva
a ver o seu site e gostei bastante da maneira como está
estruturado e dos seus conteudos, pelo que, não vejo qualquer
incoveniente em utilizar o meu site. Obrigado e felicidades.
Paulo Rosa".
Le
site original de Paulo Rosa est accessible en
cliquant ici.
Voir
également un dossier d'informations très
complet en portugais sur ce barrage très controversé
dans le site du journal o Publico :
A
l'heure où ont été écrites
ces lignes, l'eau gagnait les premières maisons
du village de Luz (concelho de Mourão)
dont les derniers habitants partent pour leur nouveau
destin dans un village blanc tout neuf. Pour bien
se rendre compte de l'impact sur le paysage de l'immense
retenue d'eau qui se remplit depuis une annnée,
grimpez sur les murailles du château de Monsaraz.
Quelques
informations sur les montados et les arbres (chênes)
qui les composent : carvalho, sobreiro, azinheira,
carvalho-negral.
Carvalhos
est le terme générique désignant les chênes (genre Quercus)
en portugais.
Sobreiros
veut dire chênes-lièges, sobreiral (plur. sobreirais)
désigne un ensemble de ces mêmes arbres ou une forme
évoluée de montados constitués essentiellement
de cette espèce.
Le
sobreiro est présent surtout dans la façade ouest
de l'Alentejo, préférant les climats plus doux et plus
humides, c'est pour ça qu'on le trouve facilement dans
l'arrière-pays d'Odemira et dans les serras de
l'Algarve. On le reconnaît facilement de loin grâce
à son écorce grossière (cortiça) et claire
quand il n'a pas été juste écorcé (il devient alors
brun-rouge).
Sobreiro
En fleurs
photos
prises dans la Serra do Caldeirão (Algarve)
L'autre
chêne présent en grande quantité en Alentejo (comme sur la
grande photo) est le chêne vert, azinheira ou azinho
en portugais, azinhal (plur. azinhais) désignant
un ensemble de ces mêmes arbres ou une forme évoluée de montados
constitués essentiellement de cette espèce, comme dans
les collines (ondulado) très arides du côté
de Mértola.
L'azinheira
est plus rustique et résistant, l'écorce est plus fine
et foncée, on le trouve essentiellement dans la façade
est de l'Alentejo et dans la raya
fronteriza espagnole (surtout Extremadura,
dans une forme évoluée).
Azinheiras
Pastorícia
photos
prises au sud de Serpa
On
trouve aussi dans la partie plus continentale le carvalho-negral,
à feuillage plutôt caduc. Il n'est pas facile, pendant
la période de végétation, de le distinguer à
prime abord de l'azinheira avec lequel il se
mélange parfois dans les montados à forme évoluée
car il prend aussi cette forme si caractéristique
: couronne très large, arrondie et basse voire très
étalée.
Lupin jaune
près V.N. de S. Bento
Les
chênes verts symbolisent un peu la région tandis que
les chênes-lièges, eux, la font vivre, en partie du
moins
Les montados,
ce sont ces milieux arborés très ouverts où la forme
caractéristique des arbres est plus ou moins marquée
selon l'intensité de l'intervention humaine, leur disposition
dans l'espace et leur densité. Certains montados de
sobreiros sont denses avec des arbres de taille moyenne
alors que l'on trouve de très beaux et grands et larges sujets
relativement isolés d'azinheiras sur la façade
est de la région.
Le
montado est l'équivalent au Portugal de
la Dehesa
en Espagne. Outre le fait que le montado constitue leur
parcours pendant leur croissance, les chênes y
donnent des glands (bolotas en portugais, bellotas
en espagnol) utilisés pour l'engraissement des
fameux porcs noirs de la race ibérique, appelés
Cerdo Ibérico de l'autre côté de
la proche frontière et Porco Preto da Raça
Alentejana de ce côté-ci. La dénomination
pata negra n'est qu'une indication impropre car
le sabot de ces porcs n'est pas toujours noir.
La
qualité de la viande obtenue par cette
méthode d'élevage, conjuguée
avec des méthodes d'affinage précises
et longues (jusqu'à 30 mois) et une règlementation
de plus en plus claire, nous amènent sur
la table des jambons qui sont les meilleurs du
monde, comme le Bellota espagnol, à
ne pas confondre avec les Serrano, élaborés
à partir de porcs blancs, élevés
ou non dans la péninsule ibérique,
mais dont les jambons y sont affinés avec
plus ou moins de bonheur suivant les fabricants.
De ce côté-ci
de la frontière, l'appellation Presunto
de Barrancos est protégée (D.O.P.).
Il y a d'autres appellations protégées
en Espagne
pour les produits voisins.
<<<
Presunto de Barrancos avec 18 mois d'affinage (marque
Miguel
& Miguel)
On trouve maintenant assez facilement dans la grande
distribution
ces produits prétranchés sous emballage
scellé (surtout le serrano).
Il y a
des zones de transition entre les 2 espèces dominantes de
chênes, entre l'est et l'ouest, ainsi que des îlots
d'exception, selon les configurations locales.
Liège (cortiça) près de
Castelão, en Algarve
Sous
ou entre ces arbres existe une couverture végétale diversifiée
et riche plus ou moins cultivée extensivement et au
sec (sequeiras) de fourrage, de céréales, de
pois chiche (grão) ou de parcours de troupeaux
(pastorícia) formant un espace à usage multiple.
Dans
les zones les plus arides ou appauvries, on trouve un
couverture végétale plus proche d'un aspect de friche
(pousios) ou de lande, voire monospécifique comme
l'esteval (constitué de esteva - Cistus
ladanifer - Ciste à gomme) ou envahie partiellement
de rosmaninho - Lavandula stoechas. Les montados
peuvent donc être très équilibrés ou avoir un aspect
assez sauvage ou abandonné selon leur situation, l'empreinte
ou la pression de l'activité humaine.
Ces éléments
me paraissent utiles pour mieux comprendre et apprécier ce
que l'on qualifie de paysage équilibré ou harmonieux, qui,
en de multiples lieux, est déjà en phase de
dégradation accélérée, ce qui
concerne surtout les sobreiros. Leur surexploitation
et le quasi monopole, jusqu'il y a peu, du Portugal sur le
marché du chêne-liège les a laissé
souvent dans un état si lamentable qu'on les voit mourir
un peu partout.