Alcoutim,
au bord du Rio Guadiana, le fleuve frontière.
En face, à 1 heure de calendrier, à 5
minutes en barque,
Sanlúcar de Guadiana, l'Andalousie,
l'Espagne. Comme souvent, une
envie de faire le saut vers le pays andalou.
Sevilla, Huelva, la Sierra Morena et l'Andévalo
nous appellent. J'y suis allé très souvent,
un besoin de dépaysement. Un soir de novembre
1996, en rentrant bien tard dans la nuit qui embaumait
le ciste, j'ai couché les impressions d'une journée
andalouse sur le papier.
Au
matin d'hier arrivait un fort vent d'Espagne dont on
disait naguère de ce côté de la frontière qu'il
n'amène ni bon vent ni bon mariage. C'est encore vrai
aujourd'hui, le nouveau pont international au dessus
du Guadiana trouve encore les deux peuples ibériques
un peu dos à dos. Le pont est jeté entre les affaires
mais pas entre les cœurs, mais ça vient vite.
Bond en avant dans le temps, il est une heure de plus.
M'en remettrai-je au retour ?
En bas, à droite le fort de Castro Marim
veille sur le fleuve, côté portugais. En face, à Ayamonte,
l'antique bac embarque quelques touristes nostalgiques
pour la traversée. A gauche, la rive où les barques
attendaient jadis les fuyards étrangers pendant la dictature,
si jamais cela se corsait un jour.
La Junta de Andalucia
m'accueille. A Lepe, les orangers et
les fraisiers composent maintenant le paysage, oranges
et fraises se mélangeront ce soir à contre saison
dans mon assiette. Cartaja, à droite vers le
littoral tout proche. Urbanizacion en cours,
mais lentement. Grappe de barques dispersées dans la
lagune, à l'abri du sauvage océan grondant derrière
le cordon dunaire. Ce soir, les pêcheurs rapporteront
quelques dorades locales, inventées par les dieux pour
être grillées, simplement embellies d'un filet d'huile
d'olive vierge et d'un citron pressé.
Huelva, puerto exterior, mélange
d'odeurs industrielles et marines, nausée assurée. La
statue de Colomb trône à l'entrée du port, regardant
vers l'Ouest. Le Nouveau Monde est loin, la conquête
accomplie, on ne refait pas l'histoire. Aujourd'hui,
paraît-il, c'est encore un monde nouveau qui nous attend,
tout est toujours à recommencer. Vangelis déroule 1492
dans l'auto-radio. Palos de La Frontera, monastère
de la Rabida et la rive du rio Tinto,
lieu exact d'où partit Colomb. Ce n'est pas un haut-lieu
mais c'est un lieu prenant.
El
Rocio, la complexe église blanche flotte sur les
Marismas. Tout est calme, six mois après ou avant
le pélerinage de la Vierge d'Almonte qui draîne
toute la région, c'est vraiment énorme. Les bras du
Guadalquivir nous envoient des brassées de cigognes
et de brume blanche, le vent est tombé. La nature est
reine, enfin pas encore toujours, les espagnols l'ont
nommée ici Doñana et en ont fait un parc naturel.
De l'autre côté, c'est Jerez de la Frontera et
son vin qui va du blond le plus clair au brun le plus
concentré, du plus sec au plus crémeux. Il faut comprendre
la région pour comprendre ce vin. Un peu plus au sud,
c'est la Manzanilla et ses relents marins.
Musiques
et chants d'Espagne montent dans la voiture, l'atmosphère
se fait plus rieuse. Bollulos par del Condado
et ses bodegas me réservent une coupe de vin
capiteux et le jamon iberico. Il est 15 heures,
c'est l'heure de la faim en Espagne. Arrêt à l'hyper
du coin pour assouvir ma soif et ma faim avec une bonne
bière blonde de Sevilla (Cruzcampo)
et quelques tapas. Père Noël, déjà installé,
s'est déguisé en de multiples andalouses court-vêtues
montées sur patins à roulettes et sillonnant le magasin.
Les montagnes de jouets attendent les enfants et le
budget des parents. Au passage, dans les rayons, un
fromage à la forme et au nom évocateurs : Tetilla.
Je ne sais pas si c'est un fromage d'abbaye, ce serait
coquace.
Le
soleil me soutenant, je file vers le nord vers la barre
de collines dans le fond du décor. Le toit du monde
local (1000 m), se donnant presqu'une allure nordique,
se précise à la dernière seconde quand les châtaigniers
et l'odeur froide de la montagne remplacent brusquement
les pins et les eucalyptus. Mais la lumière est intacte,
l'air est aéré et l'on comprend pourquoi on affine ici
les meilleurs jambons
du monde, à Jabugo, dans la Sierra
de Aracena.
En haut d'Aracena, point de vue vers l'Extremadure
toute proche, pays de grands espaces très utiles au
ressourcement. Et je sais que j'y reviendrai, dans quelques
mois, quand mes réserves d'espace et de soleil auront
fondu. Quelques ermitages sont perchés sur des hauts
lieux. Je coupe tous mes moteurs et je regarde le plus
loin possible, jusqu'à la barre montagneuse du nord.
Moment où on sent les forces pénétrer à l'intérieur.
A
l'Est, Sevilla commence à allumer son décor nocturne.
A l'Ouest, c'est le vide puis le relief mamelonné rappelle
que le Portugal se trouve là. Retour par la traversée
de l'Andévalo
en sens inverse. Pays intermédiaire où le cuivre omniprésent
colore le paysage, lui donnant un teint roux aride.
Les rares rivières lui obéissent aussi (rio Tinto),
charriant leurs eaux irisées jusqu'à Huelva.
Le parfum du ciste a repris le dessus, parfois jusqu'à
l'écoeurement, après les dernières pluies.
Crochet
par Rosal
de la Frontera, premier passage frontière terrestre,
à 150 km de l'embouchure du Guadiana, puis l'Alentejo,
Serpa, Beja et on file droit vers le sud, retour
au pays.
Luz de Tavira, 30 novembre 1996.