Arriver
à Marvão à la nuit tombante est risqué. Sur la petite
place, où j'ai enfin atterri, l'Albergara do Rei Dom
Manuel semble fermée (NDLR : établissement
ouvert toute l'année). Il n'est que 18h, heure
locale. Je jette un œil par delà les remparts. Le vent,
lui, est nourri. Ma voiture jaune soleil fait tache. Un
homme au volant d'un pick up me regarde d'un air que je
devine amusé. Je suis un peu paumé à vrai dire et sonné
par la route. J'y vois mal. Je consulte le Routard
à la lueur du plafonnier, croyant me rappeler qu'un hôtelier
et surtout sa fille parlent très bien le français. Ajuda,
estou cansado, mais je saurais tout aussi bien dire
desejo um quarto. Je pense que c'est la Pensão
Dom Dinis. Elle est fléchée justement. Je m'enfile dans
un boyau qui longe les remparts. Personne en face et pour
cause, personne ne sort plus à cette heure… Et de flèche
en flèche, de ruelle en ruelle, je parviens à une esplanade,
celle de l'Office du tourisme, qui fait face non pas à la
Pensão, mais à la Casa Dom Dinis. Première
erreur. C'est plat, large, mais venté.
La
Casa est belle, antique, soigneusement restaurée
et entretenue. A la réception, l'homme ne parle pas du tout
français, deuxième erreur. Il me fait comprendre qu'il va
appeler quelqu'un. Je suis sûr que c'est sa fille, pardi
! Elle parle effectivement très bien le français, mais elle
a plutôt l'âge d'être son épouse. Troisième erreur, bien
entendu. Bref, on m'attribue une splendide petite chambre,
la 114, avec des murs épais comme ça. J'y suis rudement
bien en dépit du froid. Le chauffage va être mis, me dit-on.
Je m'installe, valise, valisette, ordinateur portable, sacoche
photo, sacoche à documents et tout le tremblement. On dirait
que j'emménage. Le téléviseur m'encombre, mais je n'ose
pas le virer.
- A quelle heure mange-t-on
?
- Nous ne faisons pas restaurant,
mais je vais vous en indiquer.
C'était ma quatrième erreur. La Pensão fait restaurant,
mais la Casa non…
J'ai
enfilé mon anorak, coiffé mon bonnet de laine (heureusement,
je l'avais pris) et ivre de bonheur, en homme libre marchant
complètement à côté de ses pompes, j'ai cherché la Casa
do Povo. J'ai surpris une jeune femme au détour d'une
ruelle en lui demandant dans mon plus pur accent de l'Hexagone
: - Por favor, procuro a
Casa do Povo… J'y étais presque. J'ai donné du marteau comme au temps
jadis. Le maître de maison m'a invité à prendre place, me
précisant qu'il était encore tôt. J'étais le seul convive,
mais bientôt, d'autres ont rejoint la salle. On m'a présenté
d'office une ementa en anglais, ce que j'ai décliné,
préférant celle en portugais. J'ai craqué pour une sopa
de nabiças et un bacalhau dourado qui n'était
pas de première jeunesse, mais j'ai dîné. J'ai regagné ma
délicieuse chambre et j'ai dormi en dépit du vacarme que
faisait la tourmente.
Réveil
comme d'habitude vers les 6h, ce qui fait 5 au Portugal
et vous laisse largement le temps d'attendre l'heure du
pequeno almoço. A huit heures moins le quart, n'y
tenant plus, je suis allé me dérober un œuf dur resté dans
le coffre de la voiture. Vous n'imaginez pas le prix d'un
œuf dur écalé dans la nuit de type écossais, sur les remparts
de Marvão ! Ah le prix de cet œuf, fût-il de poule
et non d'autruche comme mon estomac m'en suppliait ! J'étais
dans le coton. C'est alors que le Bon Dieu est intervenu.
Par
enchantement, oui, la lumière est montée, le jour s'est
levé et le brouillard s'est déchiré, levant le voile sur
l'immensité de cette péninsule qui nous fait tous courir.
Oubliant le déjeuner, j'ai foncé dans la chambre, extrait
fébrilement mon appareil de ma sacoche photo, déboulé les
gradins de pierre et je me suis rué sur les remparts. J'y
étais comme en avion, à 900 mètres, dans un monde enchanté
de cotonnades éclatantes sur fond de lourds cumulo nimbus
plombés de pluie. Je ne le savais pas encore, mais Badajoz
prenait sa rincée du siècle à cet instant. Bien m'en avait
pris de choisir Marvão plutôt qu'Elvas.
Mais
ce n'était qu'éclaircie. J'ai passé la journée à guetter
le moindre trou de soleil inondant cette campagne d'un vert
jaune "pétant" que les peintres connaissent bien. J'en suis
un. Quand le coton se refermait, j'explorais les ruelles
et me gargarisais de noms jolis : Largo de Santa Maria,
Antigo Paiol, Rua das Portas da Vila où je tombai en
arrêt devant O Poial da Artesâ. Là, dans un de ces
bazars artisanaux qui fleurissent au Portugal, une charmante
dame polyglotte, peintre d'azulejos, vendait entre
autres objets des vestes de laine climatiquement adaptées.
Si vous passez par là, venez faire la conversation en anglais,
français, espagnol et portugais avec Luísa Assis.
Toute petite boutique, mais grande âme. On peut y voyager
jusqu'à San Francisco et apprendre que ses sept chats portent
tous un nom célèbre : Oscar Wilde, celui qui garde l'échoppe,
Salvador Dali qui règne à la maison sur les cinq autres…
Mais revenons à nos moutons.
Le nid d'aigle
de Marvão
Bonne
franquette…
La Casa
Dinis était mon camp de base. J'ai pu y prendre mes
repas du midi dans le bistrot annexe, de l'autre côté de
la ruelle. J'y ai découvert : l'açorda, cette soupe
de pain, oignon, ail et coriandre couronnée d'un œuf. La
sopa de cação, c'est-à-dire de squale. Je me suis
régalé des salades (thon, feijões frades) préparées
aussi par Senhora Christina Andrade, la patronne
(que j'avais prise pour la fille de son mari dans ma confusion
de la veille)… Pas de restauration le soir, mais le midi,
dînette. Et toutes les midinettes et garçons travaillant
au village de venir faire la pause déjeuner pour la somme
astronomique de 5 €, verre de vin et café compris.
…et
repas bourgeois
Le
premier soir, j'ai dîné à la Pousada. J'avais défripé
ma plus belle chemise. J'ai choisi une soupe de nabiças
(il faut l'oser quand votre table avoisine celle d'Américains
!) suivi d'un plat de corvina agrémenté de palourdes
et d'une sauce aux coentros, arrosé d'un verre de
blanc exceptionnel (il faut l'oser aussi). J'ai de la peine
pour mes Américains qui n'ont pas su finir leur bouteille
de grand tinto de derrière les fagots. J'ai été chouchouté
par les dames du service, sans doute parce que, sans m'en
rendre vraiment compte, je ne parlais plus que dans mon
portugais de poche, n'hésitant pas à demander des précisions
sur les mets et les vins.
Je
suis resté jusqu'au mercredi midi dans ce Marvão
enchanteur où le temps n'a cessé de s'éclaircir, le soleil
me livrant tous les secrets du lieu et me révélant tous
les détails du paysage. J'ai été pris d'amour pour ces deux
chatons roux qui se chauffaient sur le blanc éclatant d'une
cheminée alentejane. J'ai amadoué les chiens, leur expliquant
que je voulais juste voler une photo. J'ai croisé des gens
heureux et j'ai fermé ma gueule quand un pick up déboulait
dans une ruelle, me forçant à me faire tout plat dans une
entrée de maison (quand il y en avait).
J'ai
bien sûr fait le chemin de ronde dans son entier, adoré
les chapelles, leurs portails, les portes et croisées des
maisons, le pavé et cette pimpante charrette du brocanteur,
immatriculée www.alentejonline.com. J'ai photographié
des terrasses, des fleurs, des détails architecturaux à
en avoir presque honte, tant je me sentais possédé.
J'ai
aimé le sombre château, forteresse de guet et de défense
par excellence, construite pour voir à perte de vue et se
donner le temps de réveiller le fantassin en douceur, de
faire fondre le plomb, bouillir les marmites et astiquer
les canons. Une curiosité à ce propos. Ils sont disposés
tous azimuts, sauf un qui est orienté sur son propre camp.
Avec un Australien de passage (Portugais émigré), nous avons
essayé de résoudre l'énigme. Ce canon devait servir à pulvériser
d'éventuels escaladeurs de murailles, là où était sans doute
la faille, le tendon d'Achille.
En
contemplant encore une fois l'immensité, j'ai dit à mon
interlocuteur de Sidney :
- C'est
presque aussi grand que l'Australie ici…
- Presque, oui, m'a-t-il répondu en riant de bon cœur.
Marvão,
candidate au patrimoine mondial semble bien partie.
Savez-vous
que la nuit, les petites routes en aval de la forteresse
appartiennent aux salamandres ? Si vous voyez se dresser
dans vos phares un petit objet noir taché d'or pur, ne l'écrasez
pas, s'il vous plaît ! Surtout en sortant tard (et un peu
gris) de chez O Sever, la churrasqueira de Portagem,
tout en bas qui sert des frangos, des grillades de
porc, du cochon de lait comme vous n'en trouverez pas en
haut. C'est toujours plein. Que des gens du cru. Bon signe.
NDLR :
Casa
Dom Dinis *** Rua Dr. Matos Magalhães, 7 7330-121
Marvão
Telefone: (+351) 245.993.957 • Fax: (+351) 245.993.959
Pousada
de Santa Maria Rua 24 de Janeiro, 7 7330-122 Marvão
Tel.: (+351) 245.993.201 • Fax: (+351) 245.993.440. Rodeada
pelas muralhas fortificadas do século XIII, foi construída
a partir de um conjunto de pequenas casas, mantendo as suas
características medievais.
Albergaria
El-Rei Dom Manuel ****
email : alberg.d.manuel@mail.telepac.pt
Largo de Olivença, 7330 - 104 Marvão
tel.: (+351) 245 909 150 • Fax: (+351) 245 909 159
O Sever ***
Portagem, São Salvador da Aramenha 7330-339 Marvão
Telefone: (+351) 245.993.318 • Fax: (+351) 245.993.412