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Jean-Claude Petit
Je vis à Alcácer (1) Alcacerense

Voir aussi ses
Visions d'automne (2002) en 8 parties
dont 3 pages consacrées à Alcácer do Sal

Son blog "Sur le Zinc" : Des avions, des histoires et des peintures d'avions, des contes, des nouvelles, des carnets de voyages publiés par un peintre émigré en Alentejo.

cliquer sur les photos miniatures pour agrandir


"Je vis à Alcácer" en 6 parties :

 
 

Je suis Alcacerense depuis le 12 avril 2003. Je porte ce titre fièrement depuis que j'ai accompli toutes les formalités : n° de contribuinte fiscal, cartório notarial, registo predial, ouverture d'un compte bancaire et divers contrats d'eau, d'électricité, de téléphone. La communication est facile quoique mon portugais ahane toujours, mais je me débrouille. J'ai mes dicos, ma grammaire et je révise chaque jour mes verbos portugueses. Un boulot de Pénélope. Je ne parle plus seulement au présent et je me lance dans le futur, le passé composé. Ça change la vie: tenho comprado uma casa… Il est vrai que comprar, c'est simple, c'est un peu comme parler. Je parle, j'ai parlé, je parlerai. On m'écoute avec indulgence.

Tout cela ne s'est pas fait en un jour. Depuis cet automne 2002, je cherchais où poser mon sac. Vila Nova de Milfontes m'avait déçu "en bien", diraient les Suisses. Alcácer do Sal, ma conquête de l'année comme je l'avais écrit dans "Visions d'Automne", m'attendait. Je devais y trouver refuge. J'y avais noué des contacts, cultivé des amitiés, caressé des projets d'amours pour Carrasqueira, pour l'église Saint-Jacques aux mille cigognes, pour le Sado paresseux et pour tout dire, pour cette vie qui me rappelait étrangement les années 50, les autos en plus. Un monde de petits commerces de proximité, à peine visibles, confidentiels, dont la fonction est de servir et d'entretenir les conversations aux prix du marché local. De vrais forums un peu sombres, un peu "bordéliques" parfois, mais tellement humains et chaleureux. Carvão, cartes postales, lixivia, vassoura, chouriço et fil à coudre. De vrais drugstores comme "Dans les Pharmacies du Canada" que chantait Trénet, en 50 justement.

A Descoberta

J'y suis retourné début janvier 2003, conscient que le temps de chien qui y régnait alors, me réserverait des printemps et des étés tardifs fabuleux. Mon compadre Michel Noelke et son restaurant A Descoberta n'y sont pas pour rien. Ni Alquimista que j'ai alimenté en chroniques, ni Philippe Martins avec lequel nous avons inventé le PNA, le Pays de Nos Affinités. Plus besoin de parler de Portugal, PNA suffit. Il est notre mot de passe.

J'allais repartir bredouille, ce 9 janvier, quand José Palmela, très sympathique mediador immobilier, tout frais revenu de Toronto où il avait émigré, m'offrit de visiter in extremis un bijou de maison ancienne, dans les hauts d'Alcácer. Murs de pierre de 60 cm d'épaisseur, toit sain et bien isolé, carrelage, fraîcheur et charme du quartier où flotte le linge comme flottent les étendards de fête. Vue sur le Sado. Ce fut le coup de foudre ! Un quart d'heure m'a suffi pour décider. Le lendemain, je rencontrai le propriétaire, un architecte de Lisboa. Nous avons signé un compromis de vente à Setúbal et avons scellé notre accord dans une marisqueira paumée de la ville où poissons et crustacés valaient bien cinq étoiles. Ce fut un jour béni. Le soleil était hivernal, mais radieux. Que du bleu. La maison serait libre en avril. Inutile de préciser combien ces quelques semaines d'attente m'ont pesé.


Fraîcheur et charme du quartier où flotte le linge...

Navettes

Le 11 janvier, j'ai refait le chemin sacré, Alcácer, Marvão, Cáceres, Salamanca, Valladolid, Burgos, Pays basque, mais dans le sens le moins bon. Car passer de l'immense et noble Extremadura aux polygones industriels des provinces d'Alava, de Biscaye et de Guípuzcoa est une épreuve, surtout par menace de verglas. Le thermomètre accusait plus ou moins zéro.

Cem Cães - Sem Cães

Je m'en suis tiré encore une fois. J'ai évité le pire dans ce que j'appelle "le couloir de la mort", entre Vitoria/Gasteiz et Donostia/San Sebastian, où les camions font la loi du bitume. Ô Alcácer ! Tes infractions sont bien légères en comparaison de celles que je relève sur l'A1 qui en théorie, doit mener ses usagers sains et saufs d'Irun à Madrid. A Alcácer, on gare son pick up Toyota à cheval n'importe où, surtout là où ça pourrait gêner. Mais entre Vitoria et Donostia, on vous fonce carrément dessus avec 30 tonnes de charge au cul. Beaucoup sont inflammables ou toxiques. Heureusement qu'au cul desdits barlus, figure en grosses lettres l'email de la société de transport. Utile pour les réclamations, voire les sanctions.

Je suis redescendu à Alcácer le 21 février, dans le bon sens cette fois, juste après une tempête de neige qui avait sévi sur le nord du PNA, paralysant Bragança, Guarda, la Serra da Estrela. Alquimista était parti le matin même de son Anjou (NDLR : très provisoire). Nous nous sommes rejoints à Béjar pour une étape, puis à Marvão. Nous y avons pelé de froidure, mais nous étions au PNA. Que du bonheur. Nous avons bien sûr sacrifié au frango de O Sever. Nous nous sommes séparés le lendemain, lui pour "son" Algarve, moi pour "mon" Alentejo.

Cem Cães - Sem Cães

Mes meubles et cartons sont arrivés dans la semaine, piaffant d'impatience d'être déballés au 33 de la Calçada 31 de Janeiro. Ils étaient en avance, mais j'espérais que la maison se libèrerait plus tôt. Ils ont trouvé asile provisoire dans un appartement de location. Je suis resté à Alcácer jusqu'au 16 mars, écrivant dans un curieux décor d'entrepôt. Mais il a bien fallu emprunter de nouveau le "couloir de la mort". J'étais blindé. J'avais improvisé un crochet par Avila et fait bombance à San Martin de Valdeiglesias, une mignonne localité où j'ai presque mes habitudes, surtout dans un certain restaurant qui fait face au poste de la Guardia Civil. Une ventrêche de thon monumentale m'avait donné une telle énergie qu'elle me permit d'encaisser le couloir avec sérénité.

Mi-mars, me revoici basque, avec un œil sur Biarritz et le cœur au PNA. Drôle de vie ! Mais j'ai une consolation. Estou Alcácerense pour de vrai.

Le 10 avril, je remets les voiles, cap au 240. Une semi directe, entrecoupée par une étape à Marvão, à la Casa Dom Dinis, chambre 14. Au Ninho das Aguias, il fait encore un froid de loup. Alcácer est plus clémente, mais j'ai le rhume de ma vie. La totale, yeux, nez, gorge, oreilles, bronches. Il pleut des cordes. Je suis aphone quand j'obtiens enfin les clefs de la maison. Je reste sans voix, mais que c'est bon d'être chez soi au PNA!


Mont Blanc salin

Intégration

Je suis bien entouré de dames de confiance, mes voisines. Elles me maternent. Des citrons divins apparaissent comme par enchantement sur le mur de la terrasse. Les fleurs qu'elles entretiennent de part et d'autre de leur seuil gagnent petit à petit sur le mien. Wellington, le chien de la maison contiguë m'a adopté. Il veille sur notre bout de rue. Minouchka, la petite chatte blanche qui règne sur les toits fait des incursions timides chez moi. On s'apprivoise mutuellement.

Mais je dois encore repartir pour un voyage lointain qui va me tenir éloigné pendant un mois. Je confie mes clés. Le téléphone sera installé en mon absence.

Cem Cães - Sem Cães

De retour début juin, je goûte alors les charmes délicieux de l'été naissant. T-shirt et pantalon de lin. Grills allumés pour un oui ou un non, parlote par-dessus les toits. Alcácer est en fête, souvent. Saint Antoine, Saint Jean, Pimel 2003 (contraction de pignon et de miel), une foire exposition qui se tient sur le foirail, près des arènes. Bonne occasion de faire connaissance avec les fournisseurs. Et puis la ville pavoise sous le curieux signe de "Cem Cães - Sem Cães", cent calicots peints par un artiste allemand, Stefan Tümpel. Une expo qui n'est pas sans déclencher des tempêtes. Choc des cultures ? Alcácer n'est pas rompue à l'art moderne. Elle vit encore sur ses traditions, témoin la Saint Antoine qui donna lieu à une floraison de petits poèmes placardés sur les façades, tous les habitants et commerçants se faisant rimailleurs pour la circonstance.

Ainsi va la vie à Alcácer do Sal, d'où par beau temps, on croit apercevoir le Mont-Blanc. Mais c'est un mirage. Ou un miracle salin.

En août, j'irai à Lisboa les dimanches et à contre courant, laissant les foules s'agréger sur les plages. Mais en septembre, à nous les sables fins et les grèves infinies de ma Côte d'Azur à moi, la Costa Azul. A nous aussi chocos et linguados frais du bateau…


Expo Cem Cães - Sem Cães.
L'artiste allemand Stephan Tümpel (à droite) et ses hôtes,
Michael Noelke et son épouse.

 
Page © Alquimista.net, 14 juillet 2003.
Texte et Photos (sauf indication contraire) © Jean-Claude Petit, optimisées Alquimista.
Matière fournie par les Lecteurs : lire les conditions d'utilisation du site.
 
 

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