L'Alentejo
a été façonné par la latinité.
Longtemps enclavé il présente de nombreux
caractères fossiles du bas empire romain.
Marion
Kaplan dans "The Portuguese" dit que tous les
villages du Portugal ont une ruine romaine. En Alentejo,
il y a en plus, partout, une ambiance de latinité
pas encore oubliée.
Un
quotidien latin : boire, manger
Premier indice de latinité, le manger, le boire,
le bonheur d'être à table. Le vin rouge tient
une grande place dans la vie alentéjane. Quand vous
faites la route des vins, partout on vous montre les celliers
romains. Le vin ici se fait encore dans de grandes jarres
de terre cuite - romaines - avec des cépages indigènes
romains. Jusque dans la bas Alentejo, il n'est pas rare
de voir à côté des montes une
dizaine de rangs de vigne.
Le goût
des latins est typique : goût pour l'amer, le salé,
le salé-sucré. La gastronomie alentéjane
aime les vinaigres de vin. Le Portugal en produit d'extraordinairement
évolués. Ce sont des purs vinaigres, à
la romaine (Moura Alves fait les plus renommés,
sa réserve spéciale a 8 ans de maturation).
On pense aux légionnaires romains qui se rafraîchissaient
d'eau vinaigrée.
Le goût
pour le salé, se constate après le repas.
On a soif. De la romanité mangeuse de poisson salé
(les saloirs à poisson romains ont été
retrouvés au nord de Milfontes)
vient la bacalhau, suite d'une longue histoire.
La cuisine
est faite de plats simples aux accents ruraux : Goût
pour le gibier et la chasse (on pense à Villa
Casale Piazza Armerina), poissons et porc grillé
servis les produits de l'hortus. Chacun a son horta
aux légumes peu variés, choux, fèves,
de raves (navets) romains. Ces légumes sont cuits
à l'eau. L'Alentejo conserve ces traditions de soupes-repas
(cuisson perpétuelle, pas de réfrigérateur),
complètes, rurales. On lit Pline.
Le repas
évoque irrésistiblement la visite d'Herculanum
avec les pains, on aime les boules de pain à la farine
pas trop blanche, qui sentent bon. On cuisine à l'huile
d'olive, un rien tannique. Les pâtisseries très
sucrées, le plus souvent au miel.
Les plats de fête sont les agneaux grillés
sur la braise, le porc aux palourdes (sucré salé).
Apicius.
La cuisine
alentéjane n'a rien à voir avec l'italienne,
variée et précise. Elle est restée
fermement proche de la campagne, comme les romains de l'empire.
La vaisselle (terre cuite rouge) est la même que celle
des fouilles.
Un
cadre de vie à la romaine
Si vous entrez dans un monte paysan, vous êtes
dans un autre temps. Ces maisons faites d'un mortier pierre+boue
couvert d'enduit (Vitruve), sans fondation (d'ou les fréquents
contreforts) posées sur la terre battue, avec à
leur centre un foyer sous l'unique cheminée, leur
petites fenêtres (souvenir de la villa aurea), l'absence
de plafond et l'étable au bout du bâtiment
les tuiles romaines
Vous êtes au musée
archéologique de Naples, vous regardez les paysages
des fresques avec les maisons rurales, pauvres, avec un
olivier dans le jardin, et une chèvre. Au sol, ces
assemblages inventifs de galets, de pavés (Pompéi,
villa des cerfs, etc.), les décors en losange n'ont
pas changé depuis.
Les alentéjans
ont de la romanité le goût de construire, de
faire des murs, des maisons, d'édifier.
La
romanité des murs, de l'imaginaire.
Les alentéjans
ont des habitudes de pater familias, une fierté masculine.
On est incrédule quand on apprend la fréquence
du suicide chez les hommes. Si un sentiment d'inutilité
les saisis passée la cinquantaine : ils se donnent
la mort (en buvant un verre d'insecticide) - comme les romains
se coupaient les veines dans leur bain (ou bien signe de
celticité, le suicide est fréquent en Bretagne
?).
Les foires
agricoles s'accompagne de corridas - romanité de
l'arène. Les alentéjans aiment les chevaux,
avec un sens strict de la tradition, le dressage est le
plus traditionnel qui soit dans le monde. La corrida est
équestre, élégante, habile. Dans la
campagne on voit de grandes villas autour d'une grande cour
avec un manège et des chevaux. Les grandes villas
romaines.
A partir
de 4 heures les hommes s'assoient sur un banc ombragé
et parlent. Comme sur les forums au sortir des thermes.
Les conversations sont les mêmes depuis les retraités
de la 5eme légion qui fondèrent Pax Iulia
(Beja), du nom de la fille d'Auguste en 25 avant
JC - simultanément à la fondation de la province
de Lusitanie).
De Constantin
ils tiennent la religion chrétienne, une religion
pleine de saints locaux, de miracles, de magie, d'ex-voto,
de hiérarchie romaine. Un bas paganisme fantastique
est toujours vivant. Dans les murs ces niches près
des portes ou Marie (Hécate) vieille, dans la campagne
ces grands portails au milieu de rien comme des piliers
hermaïques. La chapelle de São Brissos
bâtie dans un dolmen est une fascinante permanence
de la présence païenne. Apulée.
La
latinité culturelle
Poésies gravées
à Porto Covo
|
La langue
portugaise est latine dans son vocabulaire et sa syntaxe.
Comme les romains les portugais sont des bâtisseurs
d'empire (ils en ont fait 3) et tiennent des latins un rapport
positif et intéressé à l'étranger
(il y a toujours quelque chose à découvrir
chez les étrangers). Ce pays assimile les étrangers
comme Rome assimilait les peuples de l'empire. A l'inverse
du passé, les portugais actuels s'identifie à
l'Alentejo qu'ils ont décidé de préserver
jalousement (ils y parviennent presque). Comme un sanctuaire.
Ils y viennent nombreux dès qu'ils ont un jour de
congé.
De Pompéi
nous conservons le souvenir des inscriptions sur les murs,
des vers d'Ovide. Sur une maison de Porto Covo sont
gravées des poésies (Pompei la maison du poète).
De la latinité l'Alentejo a gardé un goût
des vers, de la magie de l'oral, d'une poésie quotidienne.
Le Sud
a bien entendu subit les échos atténués
de l'histoire : A Santiago de Cacém la ville
romaine Mirobriga est dans un site protégé
du vent (Vitruve), la ville médiévale sur
hauteur dominante et fortifiée, la ville nouvelle
en bas de château, la ville moderne va vers la campagne
et monte vers la ville romaine.
En
Alentejo il y a comme un sentiment du temps qui ne passe
pas, une sorte de nature sans début ni fin (Lucrèce),
une permanence qui donne aux choses une épaisseur
intemporelle. J'aime penser à la description que
fait Frédérico Zerri des lieux païens
(les grottes du Dieux Pan à Cesarée de Philippe,
Palmire
) quand nous marchons dans la campagne, aux
heures chaudes sous un immense ciel tout bleu. Les dieux
préservent l'Alentejo.