Implacable
logique
Une
pluie fine, quasi irréelle, voile la campagne et fait monter
des odeurs sauvages de terre mouillée. Rui est aux anges,
il ne faudra peut-être pas arroser. Tout est si sec.
Comment
voulez-vous qu'il y ait du jus dans les oranges s'il n'y a pas
d'eau dans les orangers ? Implacable logique de l'homme du Sud.
Consternation des "Nordiques". Ça ne va pas durer au moins?
Qu'à cela ne tienne.
Marché
d'Olhão au programme. Déjà, de grandes trouées déchirent
la grisaille et le mimosa projette dans le bleu des poussins
duveteux comme autant de petits soleil éclatants.
De curieux bancs ornés d'azulejos
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Olhão,
face à la lagune
Nous
arrivons à Olhão par le port, probablement un des plus
grands d'Algarve.
Une
longue jetée bordée d'un muret court tout le long de la grève,
dépasse le marché et rejoint une place dégagée agrémentée de
curieux bancs ornés d'azulejos.
Le
marché se tient dans une grande halle de briques rouges face
à la lagune. Les étals sont groupés par nature, fruits et légumes,
viande, volaille, ...
L'espace
réservé au poisson est impressionnant : carrelé, débordant de
glace pilée, il regorge de thons, sardines, poissons épée, crabes,
coquillages, crevettes, ... que les ménagères marchandent allègrement.
Ça sent bon, d'un parfum léger, frais et fleuri. Tiens, des
roussettes dans un seau.
Des filets pleins de palourdes
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Tituber
de bonheur
Tiens, des roussettes dans un seau
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Les
échopes sont une invitation à une promenade impressionniste.
C'est sûr qu'on fait un peu touristes : ici, on nous fait goûter
des amandes grillées, plus loin, on nous vante un miel de fleurs
d'oranger ...
Une
marchande de fruits me tend une fraise, d'un rouge violet presque
noir, brillant. Rien que son odeur me fait chavirer. J'y mords
et son goût explose, effaçant à jamais tout souvenir que j'aurais
pu avoir de ce fruit. Jambon, saucisse sèche, quelques tomates
odorantes, du pain - ciel, le pain ! - et un flacon d'huile
d'olive. Ça peut toujours être utile, le grand air, ça creuse.
Tout
nous tente, poivrons éclatants, aubergines à la peau tendue,
bottes de carottes, pois dans leurs cosses éclatées, céleri,
coriandre, persil, tresses d'ail, colliers de piments, ... odeurs
et couleurs mêlées nous font tituber de bonheur. Sur le port,
des pêcheurs déchargent des filets de palourdes tandis que de
petites embarcations s'agitent mollement.
Une frise de céramique colorée
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Attente
insupportable
Des drôles de petits pavés
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De
drôles de petits pavés, lissés par le temps et des millions
de pieds, nous mènent par les ruelles quasi désertes du vieux
quartier.
Tout
le monde est au marché. Quelques maisons en terrasses, une frise
de céramique colorée, le dépaysement est total.
Et
voilà que notre air s'ensoleille d'une odeur reconnaissable
entre mille. Au détour d'une ruelle, une petite vieille rabougrie
grille des poulets à l'entrée d'une minuscule cuisine noire
de suie.
Ouvertes
en crapaudine, marinées dans un mélange de vin blanc, de gros
sel et d'oignon, les volailles attendent sagement dans la pénombre
qu'une main experte les approche de la braise rougeoyante, les
retourne, les badigeonne d'huile pimentée, les retourne encore,
guettant un appoint de cuisson jamais démenti.
Ça
fume, ça grésille et crépite. La peau dore et se souffle, caramélise
dans les sucs aromatiques. Mon dieu, l'attente est insupportable,
nos sens sont au supplice. J'en ai encore l'eau à la bouche
rien qu'à écrire ces lignes.
L'horizon
se rapproche
On
file, la pitance brûlante dans les mains, direction Fuzeta.
Panneau Praia. Immense parking aménagé. Heureusement
qu'on est hors saison. L'été, ce doit être l'enfer. Par chance,
aujourd'hui, c'est presque désert.
On
laisse la voiture et la folie des promoteurs loin derrière pour
descendre sur la plage, contourner un bateau échoué à marée
basse et s'installer sur un banc de sable, l'oeil sur l'horizon
marin.
Une
pensée fugitive interrompt notre extase gastronomique : curieux,
on dirait que l'horizon se rapproche. Horreur ! il s'est même
rapproché derrière nous aussi et nous voilà isolées sur notre
banc de sable par une marée sournoise qui nous a subrepticement
encerclées.
En
deux temps trois mouvements, tout est remballé et on bat en
retraite, hilares, de l'eau jusqu'à mi-cuisses. Le soleil aura
tôt fait de nous sécher.
Tavira,
tenir l'instant en équilibre
Igreja Matriz de Santiago
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Tavira
nous retrouve un peu fourbues, pas assez cependant pour
renoncer à musarder à l'heure où les ombres s'allongent. Nous
allons à la rencontre du Castelo dos Mouros, qui étreint
encore ici et là la vieille ville. Loin de la folie des hommes
contre laquelle il fut érigé, il abrite maintenant des jardins
à la fois sauvages et discrètement ordonnés.
Igreja Santa Maria do Castelo
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Du
haut des murs, on embrasse la ville jusqu'à la lagune où des
tas de sel hérissent l'horizon. En contrebas, les toits biseautés
aux tuiles rousses et rondes renvoient les piaillements joyeux
d'une volée d'oiseaux chassant le moucheron.
Tout
près, l'Igreja Matriz de Santiago, dont le clocher rehaussé
d'ocre jaune, se termine par d'étranges cornes rayées. Posée
au sommet de la ville, l'Igreja Santa Maria do Castelo,
nimbe sa blancheur du crépuscule naissant.
On
pourrait rester là des heures à contempler la fin du jour. On
redescend dans la lumière qui file, envahies d'une douceur qu'on
a envie de retenir.
Ne
pas rompre le charme, tenir l'instant en équilibre.
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