Mais
que de monde !
Mercredi
: marché gitan de Quarteira; des kilomètres de
nappes flottent au vent comme une vaste lessive. Un homme
m'en propose une qui me plaît assez. 12.000 Esc. Trop
chère. Le marchandage est de mise. Allez, rien que pour
toi, prix cassé : 11.500 Esc. Comment, trop cher? combien
tu donnes? 5.000, pas plus. J'ai visiblement tapé trop
bas. Le garçon repend sa nappe, je continue mon chemin.
Je sais au moins quelle est la limite du bas.
Quelques
échopes plus loin, une vieille gitane m'agrippe, m'invite
à voir ses belles nappes uniques brodées main. Uniques,
tu m'en diras tant : je retrouve exactement la même que
la précédente et le lui dis, tout en lui donnant le prix
- plus bas que le sien - que j'ai refusé chez son concurrent.
Je marchande serré, consciente que cette nappe richelieu
- très belle au demeurant - n'est pas brodée main. Je
joue le jeu, fais mine de partir tout en disant que je
vais réfléchir et peut-être revenir.
Rosmaninho, Lavandula stoechas
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Sa
fille vient à la rescousse, consciente que si je pars,
je risque de ne pas revenir ou de trouver moins cher ailleurs
: "c'est ça, peut-être tu reviens et peut-être il pleut
aussi", me dit-elle, finaude. Allez, "prrresent forrr
you", si je prends la nappe, on me "donne" les serviettes
assorties. Les prix baissent, on s'emporte, on se lamente,
on feint le désespoir, les poings sur les yeux.
Finalement,
je l'emporte au prix que je m'étais fixé : 9000 Esc pour
une nappe de 12 personnes, serviettes assorties en prime,
alors que le départ était de 15.000 Esc. pour la nappe
seule. Le tissu est beau, un coton de bonne tenue, blanc
cassé, ajouré et brodé. Tout le monde s'y retrouve, je
suis contente, la vieille compte ses sous. Il fait beau.
Mais que de monde !
Pause
nature
Finalement,
on parvient à s'échapper de cette presse. Ouf, nous retrouvons
"notre" cher arrière-pays pour une pause nature. Quelques
gros nuages roulent sur l'horizon, le bourdonnement des
abeilles engourdit notre sieste, entre des touffes de
lavande et de Scille.
Nous
nous secouons, direction Alte. Nichée au creux
de quatre collines, Galvana, Francelheira, Castelo
et Rocha Maior, la vallée est riante, verte et
fertile, traversée par la Ribeira de Alte, qui court de
Fonte Grande à Queda do Vigãrio.
Alte
est un délicieux petit village, que ses maisons blanches
accrochent à flan de colline. Au centre, se dresse l'Igreja
Matriz, qui restera désespérément fermée.
Dommage,
car son portail manuélin laissait imaginer des trésors
architecturaux d'autant plus intéressants qu'ils nous
resteront cachés : la Chapelle St Sébastien recèlerait
même d'exceptionnels azulejos polychromes du XVIème siècle
fabriqués à Séville.
Pour
peu, on deviendrait poète
D'escaliers
en ruelles, la magie du lieu opère.
D'escaliers en ruelles,...
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Après
la visite d'un petit musée des traditions artisanales
et agricoles, nous n'ignorons plus rien du travail de
l'esparto, sorte de jonc qui était frappé au maillet et
travaillé jusqu'à il y a peu pour donner cordes, filets
ou paniers. Nous suivons un bout du Caminho do Esparto
et remontons la rivière vers la source qui fait la réputation
des lieux.
Des
griffes de sorcière aux fleurs jaunes et magenta ont envahi
les talus; des fontaines
sont aménagées, un peu trop dans le goût du tourisme de
masse à ce qu'il semble, mais la promenade est agréable,
entre fraîcheur et clapotis. Après une vigoureuse averse,
le soleil est revenu dans une lumière aqueuse. L'air résonne
à nouveau du cri des oiseaux tandis qu'un arc en ciel
s'élance depuis l'horizon plombé.
Etrange
ambiance
Le
temps semble suspendu. Pas un souffle dans les feuilles.
Une demi heure plus tard, un orage monstrueux se déchaîne
dans un fracas assourdissant, tandis que des trombes d'eau
s'abattent en un enfer liquide, nous obligeant à arrêter
la voiture sur le bas côté, en priant qu'aucun véhicule
ne vienne nous percuter.
La
tempête nous ébranle de ses coups de boutoir enragés avant
de s'apaiser aussi brusquement qu'elle a commencé. Encore
sous le choc, nous quittons lentement une autoroute transformée
en rivière.
Sur
la nationale 125 qui relie Faro à Tavira, des coulées
de boue ocre saignent des remblais ravinés. Tavira a l'air
un peu hébété. Nous remarquons alors que la plupart des
maisons n'ont pas de gouttières et que le système d'égoutage
n'est pas fait pour absorber tant d'eau d'un coup.
A
la terrasse d'Anazu, tout à côté du vieux pont,
les commentaires vont bon train : un temps pareil, c'est
pas normal, rien ne va plus depuis qu'on a envoyé des
fusées dans l'espace; tout ça nous détraque la météo.
Les visages sont graves, malgré les rasades de Porto
ou d'Imperial. Le lendemain, nous apprendrons que
d'innombrables dégâts aux maisons et aux cultures auront
été causés en moins de vingt minutes.
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