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Visions d'Automne
Jean-Claude Petit

(voir aussi "Je vis à Alcácer")

Alcácer do Sal : (première partie) / aller à la seconde / à la troisième

L'arrivée sans tambour ni trompettes

Je connaisais Alcácer de vue seulement pour l'avoir longée à trop vive allure lorsque je descendais naguère à Vila Nova de Milfontes refaire ma bronzette. C'était le point de passage obligé. Autrefois, ayant trop hâte de "rentabiliser" le soleil du sud, je n'en avais retenu qu'une vision de façade. Imaginez que je sois passé au large de Nice en hors-bord. J'ai changé. Je ne rentabilise plus. Désormais je paresse, je goûte, je m'imprègne comme une éponge et la preuve, je restitue…

Cet automne, j'avais préparé mon voyage. Il faut vous dire que j'appartiens au mouvement mondial Slow Food (contraire de fast), un mouvement de résistants au nivellement du goût par le bas.

J'avais donc envoyé une bouteille à la mer en direction de Slow Food Portugal et j'ai eu la bonne surprise de recevoir un message de bienvenue assorti d'adresses: une sorte de réseau de résistance. L'une d'entre elles concernait un tout nouveau restaurant à Alcácer do Sal, tenu par un membre du convivium Arrábida : A Descoberta. La Découverte, cela ne pouvait qu'exciter ma curiosité et mes appétits de Portugal authentique, au retour de Vila Nova de Milfontes qui m'avait "déçu en bien" comme disent les Suisses.

La Découverte

Après un tour de chauffe et des repérages sommaires dans cette petite ville de province, j'ai abordé le restaurant. La terrasse, en forme de ring de boxe était pleine. Il était 15h, heure locale. Je m'étais faussement persuadé que ce n'était plus une heure pour déjeuner. Que de préjugés germaniques ne trimballons-nous pas, nous les Septentrionaux ! J'ai accosté Christine qui en dépit du coup de feu, m'a écouté gentiment. J'avais il est vrai de bonnes lettres de créance : j'étais recommandé par Virginia Kristensen, présidente de Slow Food Arrábida. Christine m'a présenté à son mari Michael qui officiait en terrasse, drapé dans un immense tablier de sommelier comme dans le vieux Lyon. Bonne tête d'épicurien, rondeurs et sourire avenant. Sans attendre, il m'a pris en charge et m'a dirigé vers une table occupée par un couple d'Autrichiens, amis de longue date de Virginia. J'eus l'impression de vivre une situation surréaliste.

Michael
sur son bateau

J'étais attablé au soleil avec deux Autrichiens amoureux du Portugal, "drivé" par Michael Noelke, un Allemand de souche ayant passé trente ans de sa vie à Bruxelles (dans les arcanes de la Communauté) et y ayant trouvé sa femme Catherine, Flamande en Wallonie, spécialiste de l'art contemporain. Je venais de m'immerger quinze jours dans la langue portugaise et voilà que je reparlais français avec le restaurateur, anglais avec les Autrichiens. Quelle confusion, mais quel bonheur d'échanger nos émois : Espichel, wonderful ! Et nous voici partis dans nos histoires d'amour, tandis que Michael, devinant mon appétit, m'apportait un cocktail des spécialités de A Descoberta : cabeça de Xara, bacalhau com grão, grosses crevettes fraîches du Sado, grillées à l'ail. Une bouteille de branco de Setúbal nous permit de porter un toast au Portugal (si loin, si loin hélas de Vienne !), au Pays basque (si près, si près Grand Dieu d'ici), à nos hôtes, à Slow Food, à la résurrection d'Espichel, aux cigognes d'Alcácer… Bref, des agapes alors que je ne savais rien d'Alcácer encore. Mais j'avais le temps, puisque le temps s'était arrêté pour moi, alors que Lamartine lui-même n'était jamais parvenu à en suspendre le vol ! Ô temps, suspends ton vol..., poème rasoir qu'on nous assénait en classe de seconde à l'heure de la digestion pénible de la poule au riz façon cantine.


cliquer sur la photo pour découvrir le restaurant et Alcácer do Sal

Restaurante "A Descoberta"

Av. João Soares Branco, 15-16
7580-166 Alcácer do Sal
Tel: (+351) 265 623 877
Fax (+351) 265 619 093

L'installation à bord

Mes convives sont repartis vers leur destin hivernal et moi je suis resté à paresser au soleil. Michael est venu me rejoindre, le coup de feu étant passé et réduit à quelques braises couvantes, c'est-à-dire ma table. Il m'a ensuite dirigé vers le Residencial Cegonha, à deux pas, dans ce quartier de l'église Santiago, dont les deux clochers sont habités par une tribu de cigognes. Je n'en avais jamais vu autant à la fois : Strasbourg, Colmar, Riquewihr, tout ça, c'était du pipeau ! Ici, je n'avais qu'à élever les yeux au ciel et j'en voyais partout qui faisaient le pied de grue sur leur nid en porte-à-faux. Et ça caquetait et ça claquait du bec !

Magnifique Residencial que ce Cegonha (of course) où j'ai emménagé avec tous mes bagages. J'ai nettement dit que je me passerais de la cassette TV : Vivo bem, sem televisão, ai-je articulé en prenant soin de n'y pas mélanger de l'anglais. Mais la dame de la réception parlait un français de chancellerie.
     - Où avez-vous appris si bien, Madame ?
     - A l'école, tout simplement.
     - Vous avez dû avoir de bons professeurs, mais vous deviez surtout être bonne élève…

NDLR : Residencial Cegonha. Largo do Terreirinho. Tel. +351 265 61 22 94.

A Descoberta, on s'en doute, devint mon camp de base avec vue sur le long fleuve tranquille, son bateau bleu Amendoeira, ses ponts, un pedonal et un en fer dans le plus pur style Eiffel. Michael m'a donné une mapa où il a repéré pour moi les bons coins. Trop à mon sens, des tascas, des chemins, des pistes, les salines, les réserves d'oiseaux, des herdades et Carrasqueira, port de pêche cinq étoiles dans l'échelle du pittoresque. Il me faudrait un mois de plus pour venir à bout de l'estuaire. Et encore !


Le bateau Amendoeira sur le long fleuve tranquille

Premiers pas et défrichage

Au lendemain, je me suis levé avant les Portugais et bien avant l'heure réglementaire du pequeno almoço. J'ai découvert la curieuse morphologie de la ville basse, coincée entre le Sado et les murailles du Castelo. Une ville toute en longueur, étroite dans sa partie plate, baignant d'un côté et grimpant de l'autre. J'ai exploré l'axe principal commerçant qui se cache derrière les façades fluviales. Je dis axe, car la rue change de nom à chaque travessa, du Largo do 25 abril au cul de sac de la rue Santo Pedro et de la Fabrica qui dresse sa cheminée de briques. J'y ai déniché des lojas minuscules comme des boutiques de poupée. J'ai foulé les petits pavés dont je raffole, luisants, polis, doux à la plante, amicaux avec le pied. J'ai joué avec les chiens, léché les vitrines, soupesé les prix. Là, j'ai confirmé cette impression de province, pas même de sous-préfecture, mais de délégation préfectorale. Un kiosque à journaux s'est ouvert. Amália a commencé à chanter des fados, chose que je n'avais pas entendue à Évora et qui m'avait surpris. Des motos Zundapp chargées de cageots ont pris leur essor, pétaradant en raison inverse de leur vitesse. Et j'ai pris mon premier café dans le premier salão de chá qui ouvrait, environné de jeunes filles encore endormies. Pasteis de natas frais, tièdes, bolos et toasts grillés : pão de forma. Je me dis que nos boulangers de France devraient prendre exemple et abandonner la viennoiserie franchouillarde qui vous nappe le palais d'un film de gras, ces énormes pains au chocolat qui certes tiennent au corps, mais surtout à l'œsophage jusqu'à midi. Et j'ai repensé avec tendresse à mon tout premier pas au Portugal il y a vingt ans, à mon premier pequeno almoço dans un café de Chaves, à l'extrême nord. Qui sait si mon amour du pays n'est pas né de fiançailles précoces entre un café Delta ou Sical, un bolo de arroz et moi. Là encore, province… J'ai quand même depuis connu et fréquenté aussi souvent que possible la prestigieuse Casa dos Pasteis de Belém à Lisboa.

Restauré, j'ai poussé jusqu'au marché à l'autre bout du pays, un foirail immense qui entoure les arènes. Les forains déballaient tissus et bonneterie. J'ai remarqué une splendide jeune femme, peut-être gitane, d'une étonnante élégance de cavalière Sévillane. Longues et fines bottes, chapeau noir, corsage amidonné. Tout en tâtant l'étoffe à l'étal, je lorgnais la santé rutilante de ses cheveux frisés et mordorés qui lui tombaient jusqu'à la taille. On aurait dit du Federico García Lorca:

"Je l'emmenais à la rivière
La croyant jeune fille,
Mais elle avait un mari…
Ce fut la nuit de la Saint Jean
Et presque par obligation,
S'éteignirent les lanternes
Et s'allumèrent les grillons."

J'ai tourné la page, regrettant toutefois de n'avoir plus trente ans et à défaut, de n'avoir pas pris mon appareil photo pour voler son image, bien sournoisement, au téléobjectif. J'ai tourné la page en traversant le marché au poisson, m'excusant à chaque pas de regarder sans acheter. Là aussi, belle leçon de fraîcheur dont nos poissonniers pourraient tirer avantage, à notre grand bénéfice de Français. Beautés de l'œil, de l'écaille, tenue de la queue, loyauté des effluves et en définitive, exigence du professionnel et du consommateur d'accord sur ce point, peut-être moins sur celui du prix. La pescada a fait des bonds en vingt ans !

J'ai rigolé devant la Sado Clínica : il faut être français et tordu comme moi pour rigoler de ces choses graves. Mais je n'ai entendu aucun patient hurler.

J'avais faim quand j'ai regagné A Descoberta et surtout soif de raconter mes premières impressions de provincial en villégiature. Oh la belle matinée dans la simplicité et la vérité des choses ! Que serait mon après-midi dans la Réserve naturelle du Sado !


(Alcácer do Sal : aller à la seconde ou troisième partie)

 


Informations sur :

Instituto da Conservação da Natureza
Reserva Natural do Estúario do Sado
(carte, caractéristiques, faune et flore, parcours, patrimoine, ...)

Câmara Municipal de Alcácer do Sal

Galerie de photos dans l'estuaire du Sado / Câmara Municipal de Alcácer do Sal

Page © Alquimista.net, le 15 décembre 2002
Texte et Photos (sauf cadre informations)
© Jean-Claude Petit, optimisées Alquimista
Matière fournie par les Lecteurs : lire les conditions d'utilisation du site

 
 

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