1
- Escutar e falar
Je
ne savais rien tout en prétendant que je savais un
peu. J'en sais un peu plus après un an d'immersion.
Mais je ne peux pas encore dire que je parle portugais,
même si je parviens maintenant à ne plus faire
de traduction simultanée, du français dans
ma tête au portugais dans ma voix.
Mais j'écris. Bien
sûr, faute d'avoir lu dans le texte Pessoa, Camões,
Castelo Branco, j'écris comme un français.
J'ai bien sous la main Galopim (Com Poejos e outras ervas)
et Miguel Esteves Cardoso (Os Meus Problemas). Ils
m'aident. Je n'en retiens que la quintessence, pas les tournures.
Les tournures, c'est
le style. Et le style, c'est tout !
En
définitive, écrire ne me sert pas à
grand-chose, à part quelques mails où tout
est permis sous couvert de raccourci.
Pour
l'oral, j'ai redécouvert le manuel de la Méthode
Assimil que j'avais remisé depuis quinze ans, ayant
décrété que l'ensemble cassette-livre
était une méthode vieillotte, casse-pied,
nulle en un mot. Je déments formellement aujourd'hui.
Assimil est un outil majeur. Un chef-d'uvre de langage
courant en dépit de son graphisme et de sa typo qui
me rappellent Les Pieds Nickelés de Peio. J'ai l'édition
1984.
- Carlos, o que é
um rio de águas dormentes ?
- É um rio que nunca
sai do leito !
Voilà
un échange qui peut paraître banal, mais qui
m'en dit long. Je m'amuse à le répéter
en boucle jusqu'à ce que mon propre son paraisse
celui d'un Portugais de quelque part, sans qu'on puisse
savoir d'où. Paraître lusophone, c'est une
victoire. Certes, elle est de courte durée. L'instant
d'après on me fait répéter car j'ai
mis l'accent tonique sur la mauvaise syllabe, tel le difficile
mot diffícil. On aperçoit si
peu l'accent perché sur le i (comme un quartier de
lune) qu'il faut l'agrandir.
2
- De l'anatomie comparée des Français et des Portugais
La
vérité est que notre organe naso-buccal n'est
pas anatomiquement fichu comme celui des Portugais. Nous
Français, on parle normalement. On dit par exemple
:
- Cholestérol
On articule avec la voix la
plus sucrée, calmement, ko-laisse-thé-rol'.
Le Portugais, lui, fait le pitre. Il dit du fond de la langue
:
- Klestrôôlll
Car il bouffe tout, sauf le
rôlll qui semble être l'essentiel du mot et
qu'il roule avec emphase. Même chose avec digestion,
un mot qu'il faut pourtant bien mâcher si l'on veut
ne pas être maldisposto. Il dit :
- D'gesTON et le Ton se fourre
derrière la luette, remontant vers l'arrière
nez.
Pour
en revenir au cholestérol, je n'arrête pas
de m'esclaffer en écoutant une publicité télévisée
sur un beurre allégé qui soi-disant uvre
pour diminuer le taux de cholestérol des Portugais.
La voix off doit prononcer cinq fois le mot Klestrôôlll
en dix secondes. Je me régale. J'imite. Je singe
en pouffant, d'autant que les voix off, au Portugal, en
font des tonnes et des tonnes, comme au temps de la réclame
en France. C'est du monologue de batteleur où l'important
n'est pas l'information, l'argumentation rationnelle, mais
la sur-conviction mise dans le ton. On dirait même
que l'homme au Klestrôôlll commente un
match de foot, à l'instant même ou Maniche,
fonçant vers le garda rede adverse, mais sous
un mauvais angle, passe à Figo que personne n'avait
vu, mais qui fonçait à pleine vapeur et marque
un foudroyant tir au but, blousant totalmente la
défense. Goal ! Gooooal ! Klestrôôlll
!!! Dans les deux cas, le ôl final est le même.
En
définitive, ils me donnent l'impression d'avoir un
morceau de patate brûlante dans la bouche. Et l'impression
de je donne, paraît-il, est de parler la bouche fermée
et pleine de cailloux, comme Démosthène. Quand
je dis :
- Exactement (ek-zak-teu-ment),
on me répond avec une volonté affirmée
de me corriger :
- Î Î Î
- zak- ta- mennt !
Voilà
un mot long qui n'a pas souffert du voyage entre Rome et
Lisbonne. C'est une exception, car au fil du parcours, les
mots se sont raccourcis pour n'être plus que des moignons
de langue latine. Prenons le mot pied.
Rome : Piede
Marseille : Pied
Madrid : Pie
Lisbonne : Pé
Le portugais a taillé
généreusement à la hache dans l'héritage
latin. Un autre exemple ? Prenons le mot poudre.
Rome : Polvere
Marseille : Poudre
Madrid : Polvo
Lisbonne : Pó
CQFD
3
- Des genres comparés :
Masculin
féminin, encore un piège redoutable ! Certes,
il y a des repères faciles : tout ce qui se termine
en EM est féminin comme viajem,
paragem, portagem, lavagem.
Mais diantre où ont-ils
été chercher une voyage, une arrêt d'autobus,
une péage, une lavage, alors qu'ils ont masculinisé
l'auto ? Pois sim Senhora, on dit "un Mercedes"
sans se soucier le moins du monde que Mercedes est le prénom
de la très féminine et charmante espagnole
Benz, allemande par les Habsbourgs.
Allez
vous y retrouver !
La
première fois que j'ai dit "só uma
minuta", on m'a ri au nez. J'aurais dû dire
:
- Só um minuto
!
Parce que la minute est un
minute et ainsi de suite, la seconde aussi, alors que l'heure
c'est l'heure, la hora, donc.
Ainsi,
la langue portugaise fait écrouler cet édifice
grammatical que nous avions construit avec tant de soins
depuis l'âge du biberon.
Plus tard, à l'âge où l'on a appris
rosa, rosa, rosam, on s'est fortifié dans
l'idée que la terminaison A est un infaillible signe
féminin. Bernique ! Ne vous étonnez donc plus
si vous lisez que Mozart était um artista
genial, um pianista sobretudo comme
Maria Jõao Pires qui est uma pianista
virtuosa portuguesa, ce qui remet les pendules
à l'heure
4
- Des télévisions comparées
La
télévision est un autre instrument pédagogique
formidable. Et plus l'émission est indigente (Dieu
sait s'il y en a), plus j'apprends. C'est dans cet esprit
que je me complais à regarder "A Quinta das
Celebridades", rien que pour les palavras.
Car le contexte est simple. Il est le même que celui
de "La Ferme" que les Français connaissent
bien.
Je fais ainsi d'une
pierre deux coups : j'essaye par exemple de percevoir dans
les mots les problèmes éthiques, psychologiques,
encéphaliques, phénoménologiques, substantifiques,
supraconducteurs, hypermobilisateurs de Cinha Jardim,
la coqueluche de la Quinta et des revistas
people associées. C'est facile. Elle cause, elle
cause et moi, j'engrange :
- Acho que
por ora
queria
ficar na Quinta
porque gosto muito do meu grupo. Adoro
as minhas amigas Ana Maria Lucas e Paola Coelho que conheço
desde muito muito tempo
Traduction
:
- Je pense que pour
l'heure, je souhaite rester à la Ferme parce que
j'aime beaucoup mon groupe. J'adore Anne-Marie Lucas et
Paule Lapin que je connais depuis beaucoup, beaucoup de
temps
Lumineux,
non ?
L'important
est de capter. A ce titre, les journaux télévisés
me sont précieux. Queda de ponte, tremor de terra,
onda de calor, golpe de estado, acho que
tout ça
s'enregistre sans y penser et parfois, je me surprends à
dire les choses comme il se doit.
5
- Des faux amis
Il
y en a dans toutes les langues. Et ils donnent lieu aux
mêmes quiproquos. Tenez, prenons le verbe admirar.
Pour vous, pas de problème, cela veut dire admirer.
Imaginez qu'on vous dise :
-
Admiro o teu silêncio
Inévitablement
vous le prenez très mal, car vous avez compris "j'admire
ton silence" et cette admiration vous énerve
parce que vous y percevez une nette pointe de sarcastique,
une ironie mordante, alors que votre silence n'était
que le fait d'une personne fort occupée à
régler des problèmes importants. Importants
que vous dites
Bref, vous répondez sèchement
et vous avez tout faux. On voulait tout simplement vous
dire qu'on s'inquiétait un peu de votre silence.
A l'enseigne de César & Lapin limitée.
6
- Des vrais amis
Il
y en a et beaucoup, tel que soutien. Entendez par
là soutien-gorge. De même bâton
qui est un rouge à lèvres. Alusão,
aluvião, avião
Mais dans les vrais
amis se cachent aussi des Judas redoutables.
Murro, c'est un coup
de poing dans la tronche et pas un mur, quoique
Figo, c'est la figue
et figa, l'amulette.
Grelhar, c'est griller,
mais au four, pas sur le barbecue où il s'agit de
assar. Nous dirions rôtir pour grelhar
et griller pour assar.
Coser qui est coudre.
Rappelons-nous cousette.
Cozer qui est cuire
à l'eau. Rappelons-nous cozinha, la cuisine.
Mais au grand jamais ne disons cuzinho sous prétexte
que cela ressemble à cousin-cousine (qui sont primo-prima).
Dans le doute, abstenez-vous donc de complimenter une dame
sur son gentil cousin ou sur son bien grand cuisine en rond,
bem ao gosto dos portugueses.
7
- De la petite quincaillerie
Ce
que j'appelle petite quincaillerie c'est cet arsenal de
prépositions qui nous permettent de nous situer dans
le temps et dans l'espace : ici, là, là-bas,
par ici, par là, derrière, dedans, en haut,
en bas, auprès, mais surtout pour, par et vers, dans.
Por qui se prononce
"pour" (déjà pour brouiller les
cartes), veut dire certes pour, mais surtout par comme dans
por aqui : par ici.
Ir para França,
est aller en France, soit. Ir a França
aussi. Mais on écrira ir à escola,
aller à l'école et beijinhos para
todos, bons baisers à tous.
La quincaillerie est
si mystérieuse dans son emploi courant qu'avec Ann,
nous avons le projet de faire un séminaire quincaillerie
avec l'aide d'un(e) bon(ne) pédagogue.
Conclusão
e consolação
Cela
dit, qu'est-ce qu'il fait bon vivre au Portugal sud et comme
nous avons bien fait de nous y lancer tête baissée
! En dépit des difficultés de langage qui
subsistent et subsisteront, chaque jour est une occasion
de s'intégrer.
Aujourd'hui, j'ai appris concha,
escumadeira, tacho de barro, panela de pressão, travessa
Autrement
dit : louche, écumoire, cocotte en terre cuite (argile),
cocotte minute, grand plat. Quand on veut mettre les petits
plats dans les grands, l'important est d'utiliser le juste
instrument. Mais là encore, il y a difficulté.
Barro est aussi la boue. Découverte : Durão
Barroso serait-il "Durand boueux", "glaiseux"
ou "argileux" ? Quant à travessa,
c'est aussi un barreau de chaise, une rue de traverse.
Allez, à table,
on en discutera plus tard !
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