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Jean-Claude Petit
Je vis à Alcácer (2) :
Barulho demais

Voir aussi ses
Visions d'automne (2002)
en 8 parties

dont 3 pages consacrées à Alcácer do Sal

 
 
 

Du bruit,
entendu comme nuisance,
mais finalement réduit au bien-être collectif

Commençons par les extrêmes

A Vevey en Suisse, dès 19h, tout bruit cause une gêne. Seule la cloche du donjon municipal est autorisée à sonner chaque quart d'heure, avec un pic de nuisance à minuit. Tout autre bruit est sujet à protestation auprès de l'Autorité. Les Suisses sont aussi silencieux que la pulsion de leur montre à quartz depuis la faillite du mouvement à spiral.

A Stockholm, la neige étouffe toute velléité de bruit. Chez les Suédois le soir, en prêtant bien l'oreille, on entendrait une mouche voler s'il y en avait. D'ailleurs, pour avoir une idée nette du silence, replongez-vous dans les films d'Ingmar Bergman. Vous n'y entendez que le bruit de la pellicule dans les engrenages du projecteur. Parfois, un léger craquement de biscotte remet les pendules à l'heure, mais cela ne dure pas. Il ne viendrait à l'idée d'aucun acteur d'élever le ton.
Le bruit serait-il donc une pure invention des pays du Nord ?

Le bruit, c'est la vie

Cela dit, les Portugais ne sont pas plus violents que les gens du nord. Seulement voilà, ils ne connaissent pas le bruit parce que le bruit est partout, donc normal. Les Gaulois, on le sait depuis les recherches de l'éminent historien Goscinny, avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête. Les Portugais quant à eux ont très peur que le silence leur tombe sur les oreilles. Car pour eux, rien ne serait plus insupportable que le vide dont la nature a déjà horreur. Le bruit est une vertu des pays du sud, générée par le climat et l'architecture de casbah. L'expression "crier par-dessus les toits" se comprend dès l'instant que l'on sait que les terrasses communiquent par le ciel. Et puis on vit dehors. Chuchoter serait un péché d'avarice.

A la Feria de Grândola, cet été 2003, la sono des manèges a poussé ses feux jusqu'à 130 décibels*, soit l'équivalent de l'énergie sonore libérée par un réacteur au décollage et mesurée au bord de la piste. C'était la vie. On n'imagine pas une feria sans barulho. De même au café, quand Benfica affronte une équipe étrangère, on n'imagine pas une télé en sourdine, ni supporters en grande oraison, ni gamins sages comme des images, car c'est la vie. Quand un ado fait hurler l'échappement de sa moto trial, il s'amuse à passer sa jeunesse, car il faut bien que jeunesse se passe. A l'inverse, quand un papy boudiné dans ses cuirs arrache sa Zündapp** à l'immobilité en lui faisant cracher toutes les tripes de ses pauvres chevaux-vapeur, il travaille. É a vida. Le silence serait la mort ou le narcissisme métaphysique, ce qui n'a aucun sens. Qu'aurait-on besoin de méditation, quand un ciel bleu, une brise caressante, un fumet de sardine et des nabiças vous font approcher le Nirvana ?

Et Alcácer dans tout ça ?

A Alcácer do Sal (comme d'ailleurs partout), on s'arrange donc du mieux qu'on peut pour combattre le silence, conjurer la mort ou toute spéculation philosophique sur le vide. Pour ce faire, on dispose d'armes de destruction massive. L'arsenal est surtout bien fourni en cães, autrement dit en chiens. A quelques exceptions près, chaque habitant a le sien. Motif officiel : le chien est gentil et comme les Portugais sont plutôt gentils, affables et polis, ils en ont fait un ami pour casser le silence. Sauf dans les plus grandes villes, il est à remarquer qu'on installe rarement des alarmes électroniques. Le chien pourvoit. C'est sa destinée depuis Pompéi : le cave canem légendaire retrouvé dans les cendres a fait place ici au cuidado com cão.

Il se tisse ainsi un réseau interactif d'aboiements divers, allant du plus grave au plus aigu, du plus épisodique au plus permanent. Parfois, les voix se mettent à l'unisson pour donner un concert de ladridos. Il faut entendre ces tutti, comme au Philarmonik de Berlin depuis la fosse d'orchestre. Il faut entendre ces sortes d'hymnes à la joie ou d'orages beethovéniens avec cuivres, cors, buccins, trompettes, percussions, ra de timbale et choeurs. Ô la jouissance, mes aïeux ! D'autres fois, on se contente de soli.

"Lafayette" est un de ces solistes à la voix de baryton. Une voix d'or. C'est un braque ou du moins, cela fut, car il semble être en fin de carrière, bien qu'encore opérationnel en matière de chasse au rongeur. C'est un braque, mais un brave toqué. Il fait l'admiration du bout de quartier dont il a la charge policière. Lafayette est un bon réveil matin. Il attaque le silence dès l'aube. Ses ennemis, vous vous en doutiez, sont les furtifs qui s'aventurent sur son territoire et au-delà, car il flaire le silence à cent pas. Sa jeunesse a beau fléchir, son odorat reste intact. Les quelques rats survivants le savent. Ses maîtres, comme tous les maîtres, ne l'entendent pas de la même oreille que d'autres. La très charmante Maria continue sereinement d'étendre son linge dans la rue, alors que Lafayette tient le micro et entonne un hard rock canin qu'on peut évaluer à 80 décibels*.

Une vie de chien

Le territoire de Lafayette finit là où celui de la Petite Peste commence. Elle règne à la croisée des chemins formés par la Rua José Pomba Cupido et l'angle supérieur de la Calçada 31 de Janeiro. Dans cette dernière, Lafayette a compétence territoriale du numéro 31 au 37. Quatre maisons côté impair de la Calçada et autant côté pair, sauf l'épicerie qui fait l'angle. Au-delà, c'est le domaine juridictionnel de la Petite Peste qui pourrait être un Bichon roux à poil frisé, doté d'un caractère de cochon.

A la voir étendue paresseusement sur la chaussée, vous pourriez croire qu'elle dort. Mais elle veille. Si l'envie lui prend, elle vous sautera dessus. Pourquoi ? On ne sait jamais. É assim. Petite, mais grande gueule et croc facile. Pourtant, ne dit-on pas ici que Cão que ladra não morde ? En réalité, c'est une trouillarde. Si elle s'avance, contre foncez-lui dessus et envoyez la savate sans même qu'il soit nécessaire de la toucher ! Elle s'effacera en maugréant. Ses attaques sont rares contre le passant. Bien plus fréquentes sont ses opérations de police, montées en conjonction et en synergie avec Lafayette-nous-voilà. Il n'y a jamais de sexe entre eux. Rien que de la coopération.

La Petite Peste règne donc de jour sur son lopin. La nuit, elle veille dans ses quartiers, sur une terrasse située au premier étage de l'adega qui fait l'autre angle de la rue Cupido, face à l'épicerie. Si vous passez par là, ne lui dites pas combien mon cœur bat pour elle. Elle en aurait du tourment. Ainsi chantait Luis Mariano…

Olà Pestouille, bem-vindo !
Este morada merece um bom cão de familia


C'est nouveau, il y a maintenant La Pestouille qui a élu domicile au 35. C'est l'Arlésienne du lieu. On ne la voit jamais, mais on entend parler d'elle. Je dis "elle", mais ce pourrait être lui, car contrairement aux hommes, les voix mâles et femelles ne se distinguent pas.

La Pestouille est une aboyeuse tousseuse. Elle commence à japper dès le matin contre rien en particulier. Car tout doit l'agacer, d'autant qu'elle est nouvelle. Je soupçonne Mitoucha, la chatte voisine, de venir la provoquer de sa grâce aérienne. Car pour un chat depuis les toits, qu'y a-t-il de plus jouissif que la contemplation innocente d'une boule de poil énervée ? Quand elle a cessé d'aboyer, la Pestouille tousse. Pas une toux de poumon, non, mais une toux râleuse de tête et de gorge qui n'en finit pas.

C'est peut-être une cigogne qui l'a déposée là, dans une courette, entre les murs, les toits, les cheminées. Pour sa journée inaugurale, elle a aboyé et toussé de 7h à 20h. J'en ai pris plein les ouïes, car sa voix s'amplifie par le conduit de ma cheminée alentejane. Tout communique ici, par effet de casbah. Depuis trois mois, les jours uteis, j'ai droit aussi aux marteaux piqueurs. La maison du 37 est en rénovation. On y casse tout, même les pieds et le reste.

Et dire que j'aurais pu être l'inventeur du haut-parleur si cela n'avait déjà été fait par la Voix de son Maître : souvenez-vous de la nostalgique et adorable image de ce petit chien blanc, justement, qui dresse l'oreille contre la pavillon d'un gramophone.

Pour ce qui est du 35 de la calçada, les maîtres de la Pestouille ne sont guère émus par les incontinences vocales de leur nouvelle acquisition. Ils vaquent. Pour eux, la Pestouille n'aboie pas, elle crée de la vie. Elle est ce petit bout de bonheur qui doit s'ajouter aux autres au sein d'un foyer uni, bien équilibré, bien tenu. Este morada merece um bom chefe de familia, peut-on lire dans les maisons. Cette formule est inscrite sur des plaques murales, achetées généralement à Fàtima, à Batalha à l'occasion des sorties collectives. J'ai parfois envie de graver une variante de cet ex-voto : Este morada merece um bom cão de familia. Je l'offrirais volontiers à ces voisins affables, discrets, timides que je ne vois que très rarement.

Le soir, ils rentrent le chien, Dieu merci, non sans s'attendrir sur le cher petit être, sur des tons commisératifs, sur des cãosinho, des coitadinho et tous ces diminutifs éplorés.

C'est alors que j'écoute Mozart en toute quiétude et que je m'endors sur l'adagio. C'est la vie.

Alcácer do Sal, juillet 2003.

NDR :

* Décibel
, invention du chimiste suédois Decibel qui a donné son nom à cette unité de mesure du bruit, destinée à l'origine au calibrage des explosifs. On connaît la Fondation Decibel qui chaque année, attribue le Prix Decibel de la Paix à une personnalité méritante au titre du silence. Ex : Cousteau. La mesure en décibels n'est pas reconnue au Portugal, car quand on aime, on ne compte pas.

** Zündapp, moto nationale portugaise issue d'une vieille licence allemande de fabrication. Elle brille par un manque de chevaux, un caractère poussif et un dynamisme en raison inverse du bruit à deux temps qu'elle délivre. Toujours en matière de bruit, les jeunes à motos trial sont des minets, comparés à leurs aînés possesseurs de Zündapp. A voir et à entendre absolument : un démarrage en côte de la Zündapp, chargée de Papa, Maman et d'un cageot de batatinhas do jardim.

 
Page © Alquimista.net, 15 décembre 2003.
Texte et Photos © Jean-Claude Petit,
optimisées Alquimista.
Matière fournie par les Lecteurs : lire les conditions d'utilisation du site.
 
 

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