Je
peux commencer par ce titre pompeux qui sent sa thèse
de doctorat. Mais pardonnez-moi, en matière de bleu,
je deviens un peu docteur.
On
me dira donc tout ce qu'on voudra sur les côtes azuréennes,
je n'ai jamais trouvé en Provence de ciel aussi insupportablement
bleu, sauf peut-être les jours de mistral où
il ne fait pas bon mettre un parasol dehors. Seul le jambon
supporte.
Ici,
à Alcácer do Sal, en ce mercredi 8
octobre 2003, il fait bleu Alentejo, la nuance même
qui m'a fait basculer dans une nouvelle vie. Un vrai cauchemar
de peintre où le bleu céruléen et l'outremer
se mélangent selon un nombre d'or dont je ne connais
pas la formule, mais apprécie les vertus.
Imaginez
: j'ai fait une lessive, j'ai étendu mon linge et
je suis allé fouiner au mercado. Les sardines
avaient la queue en l'air et elles étaient ni maigres,
ni grasses, dans le juste milieu. Va pour les sardines.
J'en ai écopé pour 1 € et des bricoles.
A mon retour, le linge était sec et sentait bon le
propre. J'ai pris le soin de le récolter avant d'allumer
mon barbecue. Et là, je suis presque tombé
en syncope devant ce bleu du ciel et ce blanc des cheminées,
des murs, de ma terrasse même dont la peinture pourtant,
n'étaient pas encore de première fraîcheur.
Pendant
que la braise s'embrase, j'ai un peu de temps et l'envie
me prend de vous parler de bleu. Une envie irrépressible
de communiquer cette intense jubilation faite de rien du
tout : un toit de tuiles romaines, des antennes de télévision
plutôt disgracieuses si le bleu ne s'en était
pas mêlé. Le baromètre accuse 1024 hectopascals.
Mais qu'a-t-on fait au Bon Dieu pour mériter tout
ça ? Température ? On s'en fout. Le point
de repère est que cette nuit, j'ai dormi en t-shirt
et que ce midi, j'ai enfilé celui qui pue la fumée
et qui a des trous partout, le temps de griller mes bestioles.
Chaussettes ? Connais pas depuis mai. Je porte aux pieds
des espadrilles basques naguère bleu marine. Une
amie qui s'y connaît en podologie m'a même révélé
qu'au vu de mes pieds, je suis en parfaite santé.
Tout ça à cause du bleu. Depuis cette révélation,
je n'arrête pas de montrer mes orteils à toutes
les passantes.
Comme
elles sont loin mes rentrées de classe au fatidique
1er octobre des années cinquante. Les orages d'août
étaient à peine passés que déjà,
on renouvelait la garde-robe de la rentrée. Galoches,
pull, sous pull, en vue de la goutte au nez et de ce ciel
si bas que chantait Brel. De la flotte partout, de la gadoue,
du vent. Rien n'a d'ailleurs guère changé
en dépit du réchauffement climatique. Aujourd'hui,
il fait 12°C là-haut. A l'époque, on chantait
ce fado septentrional sur des vers (un peu lourdauds)
d'Emile Verhaeren, un nom qui me donne le frisson. Qu'il
me pardonne ma trahison. Je me félicite donc d'avoir
émigré.
Le
5 octobre dernier, je ne savais pas de quoi serait fait
mon dimanche. Il y avait feria et corrida.
Comme je préfère (de loin) la corrida de
muerte que chante Garcia Lorca à la faena
"a brazos" des Portugais et que la feria
en question était (como de costume) la fête
aux décibels, j'ai opté pour un tour en bateau
avec mon ami Pedro Cotovio sur le fleuve Sado.
Il est vrai qu'en prélude, nous nous étions
grisés de racers hydro planants qui nous avaient
régalés d'écume, de sillages, de virages
à la corde. Nous avons rompu le combat en allant
photographier des hérons cendrés étrangers
à la fête.
Pedro,
j'en reparlerai. Cet enthousiaste du tourisme pas comme
les autres, à l'enseigne de Hemisférios
(Viagens, Aventura) ne se contente pas seulement de
balader les épicuriens sur le Sado. Pilote
émérite de montgolfières, il les emmène
aussi en ballon. Et dans ce bleu qui sévit, je vous
laisse imaginer à quel point la santé de vos
pieds peut s'en ressentir.
Mes
sardines finissent de dorer sous le bleu encore. Excusez
mon insistance, mais ce bleu est décidément
insupportable. J'avais prévu des courses à
Setùbal, mais je suis obligé de les
remettre à demain. Amanhã, talvez
Et encore Ici, on n'est jamais sûr de rien,
ce qui nous différencie et nous fait croquer la vie
à belles dents.