J'aimerais
bien savoir comment on dit "le monde est petit" en
portugais, autrement qu'en traduction littérale. Les Espagnols
disent el mundo es un pañuelo, un mouchoir.
J'étais
attablé à la terrasse de A Descoberta en compagnie
de Michael Noelke, maître de céans. Tout en regardant s'étirer
paresseusement le Sado, nous avons refait le monde
et surtout la France. Pourquoi ai-je raconté qu'un ami aveyronnais
m'avait rapporté qu'un certain Paul Ramadier, ancien Président
du Conseil de la IVe République, avait non seulement "inventé"
la vignette automobile récemment abolie, mais avait aussi
inventé un système de dessalage du bacalhau…
Il
faut savoir qu'autrefois, la morue salée débarquée de Bordeaux,
s'acheminait par petits bateaux en France profonde et remontait
les rivières à la traîne, au fil de l'eau douce, si bien
qu'arrivée par le Lot à proximité de Decazeville (dont Paul
Ramadier était natif), elle était à point. L'homme avait
été nourri à cette culture. Devenu président, il réserva
à l'Hôtel Matignon un WC affecté à l'usage exclusif du dessalage
des quartiers de morue, placés dans le réservoir perché
de la chasse d'eau. Quelqu'un était chargé de tirer le cordon
à intervalles réguliers.
Je
racontais cette anecdote à Michael qui me parut d'abord
se désintéresser de mon "histoire de chiotte". Je fus gêné
quand je le vis se saisir de son téléphone portable. Il
n'était plus avec moi, mais ailleurs. Avais-je gaffé ?
Après
les "comment vas-tu" et autres "viens nous voir", il
demanda à son interlocuteur si la morue dessalée d'une façon
très originale lui évoquait quelque chose. Et là, j'ai vu
les yeux de Michael briller, son sourire s'éclairer d'une
lueur de satisfaction malicieuse. Je n'entendais pas les
réponses, mais je devinai que nous vivions un moment extraordinaire.
Savez-vous
qui il avait en ligne ?
Son
vieux copain Ramadier, petit-fils du Président, Paul comme
son grand-père, fonctionnaire international à Bruxelles!
J'appris
aussi que la personne qui tirait la chasse d'eau toute les
heures, n'était autre que sa grand-mère, Madame la Présidente
du Conseil.
Notre
repas ne fut pas triste. L'après-midi non plus en ce 2 novembre
2002, jour où je prenais un an de plus au compteur.
Carrasqueira,
port lumière sur pilotis
J'ai
bien essayé des incursions dans l'estuaire par les chemins
de sable. Peine perdue. Il eût fallu un 4 x 4 haut sur pattes.
Je me suis contenté grandement du bitume qui me mena à Carrasqueira,
"vrai" port de pêcheurs, un peu au sud de Tróia,
la localité connectée à Setúbal par un bac
fort connu et apprécié. Une sorte de Royan-Le Verdon sur
une Gironde qui serait le Sado. Même couleur des
eaux.
Vrai
est le mot. Il n'y a que des pêcheurs d'étrilles, de crevettes
et de tous les poissons dont on se régale. Vrai encore parce
que cette "civilisation mécanique" (dont parlait de Gaulle
avec un peu de mépris dans le gras de la voix) n'y est entrée
que par les moteurs hors-bord. Vrai enfin parce que les
barques de couleurs intenses et insensées (un régal de peintre)
y sont amarrées à un réseau de pontons de fortune, branlant
sur leurs pilotis. Une infrastructure portuaire de bric
et de broc, réduite à l'essentiel. Un décor de cabanes,
de perches, de mâtures à couper le souffle, d'autant que
le ciel commençait à rougeoyer, que la Serra Arrábida
qui en constitue le fond s'éteignait et que les rayons du
soleil déclinant frappaient de plein fouet les jaunes, les
verts et les rouges des embarcations. J'avais ainsi des
coups de projecteur de théâtre sur des acteurs chevronnés
aux noms jolis comme des cœurs, tel ce bateau Joselia
Dolores.
NDLR : O porto de pesca da Carrasqueira, um
conjunto surpreendente de passadiços suportados por
estacas de madeira que se internam ziguezaguendo água
adentro agarrando-se aos lodos do estuário constitui
um outro elemento patrimonial de grande interesse
não só pelo inédito da solução, a lembrar, alias,
recuados períodos da historia, como também pelo solução
espontaneamente conseguida no respeitante à sua integração
paisagística. Pedro Castro Henriques.
J'eus
curieusement une vision quasi vénitienne de l'endroit. Mais
si j'avais eu un voyage de noces à refaire, c'est là que
je l'aurais fait, à cette heure et à cette saison précises.
Nous aurions été seuls au monde et gâtés par une nature
touchée par la Grâce, certes sans vaporetti, sans
balises ressemblant à des glaces italiennes, sans canaux
ni palais, mais tout de même avec deux gondoliers au travail.
Sur
le ponton, une femme travaillait aussi en silence. Elle
débarquait dans sa brouette de pleins sacs d'étrilles que
son mari encore à bord venait de pêcher. C'est là qu'il
fallait faire cet effort de voyageur qui consiste à saluer
dans la langue du pays et à demander la permission de photographier.
Il suffisait de mots si simples : - Posso ?
- Pode, sim.
- Obrigado, senhora.
J'y
étais le seul étranger du lieu. Ce sont ces petites choses
qui vous ouvrent des voies (et voix) nouvelles, vous distinguent
du touriste qui ne fait que passer, et vous offrent d'autres
richesses, ne serait-ce qu'un joli sourire volé au temps
de travail d'une inconnue bien faite de sa personne.
La
nuit m'est tombée dessus aussi vite qu'en Afrique, précédée
à quelques minutes seulement d'un signe avertisseur : les
retours du "boulot" de milliers d'oiseaux, de canards notamment
qui formaient de fines nuées, des volutes noires oscillant
au ras des flots. Curieux spectacle au tomber du rideau,
comme un bis. Curieux oiseaux aux mœurs pendulaires que
nous imitons aux mêmes heures. Mais là, ni embouteillages
ni collisions.
Je
suis rentré ivre de plaisirs visuels. J'avais un kaleidoscope
en tête. Carrasqueira, la Venise du Sado,
mais la Venise confidentielle, réservée aux contemplatifs
solitaires.
NDLR
: O estuário do Sado esconde-se ao nosso olhar
e para o ver há que frequenta-lo, experimentar os
calores húmidos que noutras épocas lhe granjearam
a fama de malefício, há que enterrar-se nas vasa,
provando-lhes os vários cheiros que o suceder das
marés lhes empresta, há que abandonar os caminhos
habituais e percorrer-lhe os bordos o lençol das águas,
perder-se nas valas e esteiros que o fazem penetrar
nas terras. Pedro Castro Henriques.