Je
l'ai dit, Alcácer do Sal m'est apparu et reste pour
moi la terre de paix idéale dans sa simplicité provinciale.
Rien de fracassant et pourtant tout y est beau. La vie est
tranquille. Elle s'écoule avec au rythme paresseux du Sado.
On se soucie peu de la ponctualité qui est une notion septentrionale.
Et pourtant, Michael m'attendait de pied ferme sur le pont
de son bateau tout neuf pour photographier son inauguration.
J'ai raté l'heure, sans doute occupé à chercher des pistes
pour atteindre les salines. Mais l'inauguration a raté aussi.
Le fournisseur d'essence (marque très connue) avait livré
de la bibine, moitié eau, moitié hydrocarbure. Résultat
: report de l'inauguration pour avarie grave, le temps de
nettoyer ledit moteur qui a sera finalement sauvé des eaux
rouillées par le Doutor Suzuki, par ailleurs "fondu"
de courses internationales de hors-bords de 500 CV. Un vrai
Janus à deux visages qui pratique les deux glisses : l'extrême
et la nonchalante avec autant de talent.
Comme
une andouille, "A Descoberta" est resté ancré au
milieu du fleuve quelques jours, tristement balloté au gré
des marées. Un matin, il n'était plus là. Mais la camionnette
du Doutor était bien là, elle, à quai. Bon signe.
J'ai bondi sur mon appareil photo et j'ai attendu sur le
Ponte pedonal. Ça n'a pas tardé. "A Descoberta" est
apparu dans sa belle livrée jaune au détour d'un méandre.
Je l'ai "rafalé" comme une star à Cannes. Quand il est passé
sous mes pieds, j'ai crié comme un sauvage. Michael ne m'a
ni entendu ni vu, tant il était transporté. Un fantôme…
Je
sais depuis qu'il n'arrête plus de bourlinguer sur le Sado
avec ses copains pêcheurs, charpentiers et mécaniciens de
marine. Ils y ont trouvé des huîtres superbes qui font l'ordinaire
de la table privée du restaurant, lequel restaurant ne se
contente déjà plus de restaurer, mais propose en extra des
croisières "découverte" qui doivent se terminer - on s'en
doute - en petits festins de produits indigènes qui n'ont
jamais navigué! Sans compter les tascas nichées dans les
bras où comme chez Obélix, on sacrifie au javali.
…récolte
la tempête
J'ai
hâte de les retrouver et de sillonner le fleuve, tout comme
tenho pressa de me rabibocher avec les marchandes de
crevettes qui investissent chaque jour le quai. Elles ne
semblent ne rien vendre ou du moins paraissent faire étal
en connivence avec l'Office du tourisme. Je leur dois réparation
car j'ai commis une sacrée gaffe à leur propos. Mais comprenez-moi,
je les ai certes toutes photographiées avec leur permission.
J'ai
seulement insisté sur le portrait de la plus jeune des marchandes.
Comme par hasard, c'était de loin la plus jolie. Et innocement
(sic !), c'est à elle que j'ai demandé nom, prénom et adresse
afin de lui envoyer les photos. Un prétexte en béton. Merci
à Paula S… pour cette faveur accordée avec un sourire
et une voix que j'ai gravés en mémoire. Comprenez-moi aussi.
Je ne la connais pas autrement qu'au fil de cette scène,
mais elle m'évoquait tant la chanson de Brassens (sur un
poème d'Antoine Pol) "Les Passantes":
"Je
veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets,
A celle qu'on connaît à peine,
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais."
A
jouer les jolis cœurs, j'ai récolté la tempête, mon modèle
préféré aussi. C'est parti en salve et ça a continué en
feu nourri de quolibets. La plus jalouse, une panthère noire,
m'a sorti ses griffes. Je ne suis pas orfèvre en lusophonie,
mais j'ai bien compris que ces mots-là volaient au-dessous
de la ceinture (de chasteté). Les plus doux disaient à peu
près ceci :
- Et alors nous, on compte
pour des prunes ?
A
la vérité, j'étais très conscient de mon "crime" de favoritisme
que je ne regrette pas. Ça aussi, c'est du voyage. Les photos
ont toutes été envoyées à Paula S… qui a bien voulu
centraliser. Até já !