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Chronique d'un Instant
 
Retour sur un voyage
 
 

Retour sur un voyage

Je dis toujours que le voyage vers le sud du Portugal commence à Salamanca, dès que les chênes verts donnent au vaste paysage le visage doux et harmonieux des prémices de la dehesa plus méridionale, se substituant à l'âpreté monotone de la Castille qui a défilé depuis Burgos.

Cette fois, je décide de changer ma route dès Valladolid où j'ai coutume de faire étape. Je file droit vers le sud avec l'envie secrète de m'enfoncer dans les pages désertes et inconnues de la carte d'Espagne qui m'accompagne.

Ma route passe par Ávila qui promène fièrement ses remparts sur un haut plateau sévèrement granitique. C'est sans doute ici que l'Espagne austère existe. Je me fraie un passage à travers la Sierra de Gredos, ultime barre montagneuse où le printemps n'a pas encore frappé à la porte, avant que le vrai sud ne se jette sur moi dans la descente vers Arenas de San Pedro par le Puerto del Pico. Je traverse une somptueuse variante locale de l'Alentejo jusqu'au passage du Rio Tajo à El Puente del Arzobispo, là où l'Extremadura pousse sa dernière pointe vers l'est.

Mais je me trouve toujours en Castille, dans la province de Tolède, n'en déplaise au paysage. Le printemps est ici en pleine explosion, allant jusqu'à couvrir de couleur rose le chemin qui m'amène à Guadalupe, où je découvre enfin au cœur de la cité ce monastère célébrissime que mes yeux attendaient tant. Je quitte avec regret cette sauvage et magnifique Sierra de Guadalupe, qui me fait penser par moments à une serra algarvia décuplée.

Mérida, la capitale de l'Extremadura, est encore loin. Le paysage s'ouvre, s'aplanit, s'assèche, devient un peu triste. Je retrouve des terres uniformément vertes dès la sortie de Zafra, laissant aux autres véhicules le soin de poursuivre vers Séville sur la nouvelle autovia qui m'a fait gagner bien du temps. Je ferai étape dans une heure dans la luxuriante Sierra de Aracena andalouse, dans une petite auberge de ma connaissance, à Almonaster la Real (jambon Jabugo de cerdo ibérico et agneau de lait au menu, avec une fondue d'aubergines et de piments doux, on ne se refait pas !).

Sous une lumière puissante, je passe la matinée du lendemain entre le castelo de Aracena, les fraîches châtaigneraies d'altitude, les collines fleuries de Cortegana à Almonaster et au milieu des meilleurs jambons du monde à Jabugo. Ultime arrêt andalou à Aroche avant l'Alentejo. Longue descente tranquille vers l'Algarve par Serpa et Mértola.

Quelques journées de travail s'ensuivent, ponctuées de retrouvailles avec mon cher Capelo, avec l'ami Paulo, Tavira, la Cidade Velha la nuit à Faro et avec mon cher moulin, ce haut lieu de ressourcement qui gagne rapidement le cœur des amis -découvrant le Portugal pour la première fois- qui m'accompagnent. Et je désigne à cet instant précis mon moulin comme épicentre d'Alquimista.net.

Le lendemain, nous mettons le cap sur São Vicente, presque désert en cette matinée très chaude et lumineuse. Jean-Paul et Ann nous attendent à Porto Covo et le périple s'égrène doucement à Carrapateira, Azenha do Mar, Zambujeira pour finir au grandiose Cabo Sardão.

Un vinho verde très naturel déniché par Jean-Claude Petit dans ses attaches familiales de Mondim de Basto nous rafraîchit le corps et l'esprit près du jardin de nos amis qui se repose de la vigueur printanière tandis qu'un autre se projette (on en parlera ici plus tard) du côté de Cercal, le pays de Jorge Chaves qui présente quelques unes de ses photos sur le site. Les jours suivants, la Tasca do Celso à Milfontes nous rappelle que les délices d'ici ne proviennent pas que de la mer tandis que le Cabo Sardáo nous interpelle encore pour un pique-nique haut en couleurs. On se sent tous bien chez Ann et Jean-Paul, dans une joyeuse simplicité et une nonchalance qui se trouve à bout portant dans ce beau pays. Une amie américaine le ressent jusqu'au dernier instant, avant de repartir cheia de saudade pour son lointain pays un peu déjanté en ce moment.

Mon voyage se poursuit au nord de Sines par Santo André et Melides et leurs lagunes tranquilles jusqu'au bac de Troia, en face de Setúbal, tout au long de la paisible Costa da Galé et de ses infinies praias douradas. Je remonte l'estuaire du Rio Sado pour gagner Carrasqueira et son port de pêche tenant sur pilotis. Je m'y arrête longuement, à cette heure de la mi-journée, il n'y a aucun mouvement. La petite criée (trois acheteurs ce jour-là !) dédiée aux chocos me tirera un peu plus tard de ma rêverie.

Jean-Claude m'attend à Alcácer do Sal, a minha terra comme il se plaît à l'écrire. J'ai droit à deux journées bien sympathiques dans son fief : le marché, les quais le long du Sado, la sole grillée chez Néné suivie d'une profonde sieste consécutive à un vinho verde ravageur, un délicieux repas du soir concocté par sa compagne si fièrement alentejana, sans oublier la longue séance de photos dans les verdoyantes rizières toutes proches.

Le moment est venu de rentrer, mais sans précipiter. Évoramonte m'attend sur sa colline. Rien ou si peu n'est aménagé pour la visite, et c'est tant mieux, sauf le castelo d'où on obtient une vue imprenable sur la région. Les projets de restauration vont bon train; sur les remparts, deux fonctionnaires bien empâtés et en col blanc imaginent le futur avec une ardeur toute mesurée.

Et puis, finalement, il y a Marvão qui retient toutes mes inquiétudes. Dans quel état vais-je retrouver ce nid d'aigle depuis que les incendies de l'été 2003 ont effacé ma dernière visite faite quelques mois auparavant (février 2003). Quelle surprise en franchissant les premiers virages de la route sinueuse à la sortie de Portalegre ! Les collines foisonnent de vie, tout est vert et fleuri. Marvão apparaît intact au fond du paysage à hauteur de Portagem. Depuis la plus haute tour du castelo, sous un soleil puissant, je cherche les zones ravagées mais je les vois pas. Tout est peut-être encore plus beau maintenant car le regard s'est intensifié, il est plus attentif. Le feu est au vert, allez voir ce lieu et passez une nuit sur place, vous ne le regretterez pas. Mais je sais que les incendies sont passés par ici, rageusement, près de la frontière et encore plus au-delà jusque Valencia de Alcántara. Mon chemin part à l'opposé, je parcours rapidement pour une visite exploratoire la vieille cité de Castelo de Vide que je dégusterai la prochaine fois, tant cette petite ville oubliée m'attire.

Le voyage de retour se concrétise à Castelo Branco lors des achats habituels de sortie du territoire, après avoir traversé la planète dévastée des immenses incendies de cette région. Et là, ce n'est pas une partie de plaisir d'autant plus que l'été se prépare ardemment et que je me dis qu'il y a encore tant de terres et de forêts qui peuvent brûler. L'été 2005 fut dévastateur encore une fois de plus, de trop.

La Serra da Estrela surgit brusquement à Fundão, Covilhã s'y accroche, Guarda me fait signe rapidement car la quatre voies est enfin terminée jusqu'à la frontière mais en chantier jusqu'à proximité de Salamanca. Valladolid apparaît au crépuscule, la boucle est bouclée pour ce voyage délicieux et surtout si paisible, teinté de solitude, de travail et de si bons amis, quel bonheur !

Et comme une cerise sur le gâteau de ce voyage, et ce à peine rentré, Thalassa nous rediffuse son escale au Portugal : Culatra, la pêche aux perceves à Vila do Bispo et bien d'autres reportages. Et Mísia qui nous chante son fado en générique de fin, pour moi o fado do retorno... Que voulez-vous de mieux ?

 

Vos commentaires :

Bonjour, votre passion ne s’éteint pas… comme je vous comprends !
Ir JM Moreau Gembloux (Belgique), le 2 juin 2004.

 
© Alquimista.net, 31 mai 2004.
Photo prise à Puerto de San Vicente (Toledo, España),
à proximité de Guadalupe (Extremadura).
 
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